Δευτέρα 2 Δεκεμβρίου 2024

Débrayage de Rémi De Vos, traduction d’Ersi Vassilikioti, mise en scène de Vassilis Triantafyllou


Les écrivains veulent souvent faire tenir l’immensité du monde sur une feuille de papier en adoptant un langage poignant, accusateur, souvent tonitruant et sans complaisance. Écrite dans un élan de jeunesse, avec des mots martelés: cris de rage, indignation et désespoir, la première pièce (1994) du dramaturge, au titre caractéristique, incite clairement le lecteur, auditeur ou spectateur à réagir, à lever le poing de la résistance et à donner le signal d’une rébellion dont la matière première est son Golgotha personnel au quotidien.

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Rémi de Vos montre l’hésitation du citoyen craintif et soumis. Comment faire grève? Comment s’opposer à l’injustice et comment enfin  se révolter, quand on a des enfants, des dettes et obligations ? Dans les treize instantanés numérotés de cet auteur français (peu importe l’ordre où ils sont joués), défilent les personnages familiers qui habitent le monde moderne et qui revendiquent une place au soleil, avec une vraie vie plutôt qu’une survie.
C’est un essai théâtral sur le rôle du pouvoir dans les relations humaines, au lit, au bureau, dans la rue… Avec scepticisme et amertume sur le «triomphe de la vulgarité de l’argent, de la mode, des faux-semblants, du glamour, de la laideur, de la pornographie…»

Rémi de Vos ne mâche pas ses mots et parle clairement des inégalités sociales, du chômage, de la concurrence déloyale imposant flatterie, délation, horaires inhumains et conditions de travail épuisantes. Dans un système capitaliste impitoyable, tout se mesure en termes de profit. « C’est simple comme une équation : plus d’argent, plus de vie. Dis-moi combien tu gagnes, je te dirai combien tu es.»
Vassilis Triantafyllou met bien en valeur le riche discours sémantique de Rémi de Vos, en alternant adresse au spectateur et utilisation du « quatrième mur »… Il arrive à créer ainsi une relation dialectique entre auteur et public. La mise en scène a un bon rythme et il passe sans effort, d’un moment à l’autre, et invente un langage audiovisuel avec des images signifiantes comme la lutte érotique de corps asexués,  et des sons. L’inclusion des paroles:  « Tais-toi, ne parle pas » de l’écrivain et dramaturge  turc Aziz Nesin (1915-1995) est, à un moment-clé de la représentation, tout à  fait pertinente.
La tempête d’images-un mur vidéo 3 D de Michalis Pastras-complète de manière critique l’aspect invisible des significations, en soulignant les rythmes étouffants des grandes villes modernes où le temps est de l’argent. La musique de Nikolas Gale est en relation étroite avec les lumières de Yorgos Ayannitis: elles se concentrent sur l’événement attendu et surtout sur sa subversion, pour agir comme catalyseurs d’émotion et forces motrices du tourbillon de l’esprit. Alexandros Davilas, Alexandros Theodoropoulos, Evangelia Kalogianni, Emmanouela Karytinou, Niki Koutelieri, Maria Bati et Vassilis Triantafyllou se partagent les personnages avec une véritable unité de jeu et un  bel esprit d’équipe.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Noūs-Creative Space, 34 rue Troias, Athènes.  T. : 0030 2108237333.

Πέμπτη 7 Νοεμβρίου 2024

Les Créanciers d’August Strindberg, traduction d’Elsa Andrianou, mise en scène d’Aris Troupakis

 


Cette pièce tendue et ramassée commence sur le ton de la comédie et finit par un dénouement tragique inattendu mais fort bien amené. L’écrivain suédois y exprime toutes ses souffrances et ses conceptions radicales du couple et de la femme.

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Dans le salon d’un hôtel en bord de mer, deux hommes se retrouvent : ils ont aimé la même femme et en parlent. Gustaf (Philippos Sofianos), un professeur âgé, a été le premier mari et le pygmalion  de Tekla (Dimitra Chatoupi).  Adolf (Yorgos Stavrianos), plus jeune, a ensuite épousé Tekla et lui a apporté un autre enrichissement personnel et la fit socialement progresser. N’est-elle pas devenue une écrivaine à succès ?
Mais Tekla a repris sa liberté. N’a-t-elle pas des dettes envers ces amants qui ont fait d’elle une personne aujourd’hui estimée et reconnue ? Comme le pensent ces hommes, Tekla a pris chez eux tout ce dont elle avait besoin, tel un vampire. Ainsi ne les a-t-elle pas volés, diminués, spoliés ? Ils sont ses « créanciers ».

Gustaf manipule Adolf pour qu’il prenne pleinement conscience du mal qui lui a été fait et qu’une vengeance soit ourdie. Mais il joue un double jeu et est sans pitié pour Adolf, diminué par des crises d’épilepsie et il veut reconquérir Tekla qui face à leur hostilité, dispose seulement de son intelligence et de sa passion pour la liberté. Décor minimal avec juste quelques accessoires nécessaires à ce huis-clos. La mise en scène est rythmée et chaque silence, significatif. Les excellents comédiens soulignent bien le jeu de manipulation et les rapports entre les deux sexes, lestés de créances et dettes mais sans reconnaissance ni remise. Un spectacle de  grande qualité dans un théâtre-bijou d’Athènes !
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre EΛΕΡ, 10 rue Frynichou, Athènes. T. : 0030 211 7353 928
 
https://www.youtube.com/watch?v=T1ekey0TSys



 

Παρασκευή 30 Αυγούστου 2024

Hamlet de William Shakespeare, traduction de Georges Chimonas, mise en scène de Themis Moumoulidis


La célèbre pièce, connue dans le monde entier, a fait l’objet  d’innombrables lectures-interprétations. Et il y a autant d’Hamlet que de commentateurs, metteurs en scène, interprètes, spectateurs… C’est la tragédie d’un esprit noble et éclairé qui se rebelle, quand s’ébranlent toutes ses croyances personnelles, philosophiques et politiques.

C’est si terrible et sa méditation sur les ruines, si irrépressible, qu’elle le paralyse et le conduit à s’auto-détruire.  Une libération et une rédemption pour cet étudiant en philosophie qui recherche passionnément la vérité et, qui  en homme éminent de la Renaissance, doute de tout. Cet Hamlet est poussé par un amour de la connaissance théorique, mais aussi par la tragédie personnelle qu’il vivra : obtenir une vengeance dictée par le fantôme de son père tué par l’amant de sa mère.
Proche d’Œdipe, non au sens freudien mais parce qu’il lutte passionnément  comme lui, pour apprendre la vérité et qu’en l’apprenant, il se détruit lui-même. La question existentielle « Vivre. Ne pas vivre.» englobe la question « Agir ou ne pas agir. », même contre soi-même.
Mais à quoi bon pour Hamlet, puisque selon lui,  l’action ne peut avoir d’effet sur rien, et que l’inaction aboutit au même résultat: une incapacité à réparer les choses et à changer un monde qui ne vaut pas la peine d’être vécu s’il n’est pas changé….


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Georges Chimonas
  a donné en 1988, un nouvel élan au texte de Shakespeare, en créant un discours théâtral  à plusieurs niveaux. Ce qui permet aux acteurs d’évoluer avec aisance dans l’interprétation linguistique et para-linguistique des rôles.

Sa traduction a guidé Themis Moumoulidis qui met en scène un spectacle vivant et rapide de cette pièce qui devient compréhensible par un large public.



Themis Moumoulidis lit et fait clairement ressortir les plis complexes du texte shakespearien, tout en cultivant le suspense et l’attention du public.
Il y a ici une attention portée aux détails  et l’environnement sombre, mystérieux et menaçant capture la psyché des personnages. En imaginant une scénographie avec d’ingénieuses cachettes,  Mikaela Liakatas sert les nuances sémantiques du mouvement de Patricia Apergi, rehaussé par la musique de Stavros Gasparatos.  Eclairages-clés de Nikos Sotiropoulos, costumes de Vassiliki Syrma, vidéos de Thomas Palyvos et travail à l’épée d’Anastassis Roilos incarnant Hamlet de manière évolutive et profonde vers les multiples dimensions de l’âme: Themis Moumoulidis a bien choisi ses collaborateurs et ses interprètes.
Ioanna Pappa (Gertrude) se distingue par sa maturité expressive. Michael Syriopoulos (Claudius) montre toute la tromperie et le cynisme du personnage. Thodoris Skyftoulis (Polonius, Le Fossoyeur) et Thanassis Dovris (
Rosencrantz, Vernardios, Premier Acteur, Le Roi, Le Prêtre, le Capitaine, Osric) sont très à l’aise  dans tous leurs rôles. Marouska Panagiotopoulou (Guildenstern, Le Reine, La Dame), Jenny Kazakou (Ophélie), Aris Ninikas (Horace) et Dimitris Apostolopoulos (Laertes, Lucian, Marcellus, Fortebras) complètent bien cette distribution.

 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Le spectacle est actuellement en tournée en Grèce.
 
https://www.youtube.com/watch?v=FuF0l2iCPWc  

Τρίτη 14 Μαΐου 2024

Le Rêve de l’Ionie, à travers Les Journaux intimes des soldats de la campagne d’Asie mineure d’Antonis Kyriakakis, adaptation de Haris Valassopoulos, mise en scène d’Antonis Kyriakakis et Giorgos Paterakis

Ce texte est fondé sur les journaux intimes des soldats pendant la campagne d’Asie mineure, un événement historique qui, dans la conscience historique, est resté presque invisible à côté de la phase ultime de la deuxième guerre gréco-turque, avec le massacre ou l’expulsion des populations chrétiennes d’Asie Mineure. 

En Grèce même, elle provoqua d’importants bouleversements politiques (coup d’État de 1922, Procès des Six, etc.) et aboutit finalement à la chute de la monarchie en 1924. C’est  la plus grande tragédie de l’hellénisme au XX ème siècle.

Mais cet événement montre comment cette catastrophe s’est produite. Le soutien des grandes puissances étrangères à Elefthérios Venizélos, les conquêtes de l’armée grecque en Asie mineure, le traité de Sèvres, la tentative d’assassinat d’Elefthérios Venizélos, les élections de 1920 et le changement de direction politique et militaire en Grèce qui suivit, la décision de poursuivre la campagne, le changement d’équilibre diplomatique, la stagnation et la retraite de l’armée grecque ont été des événements interconnectés d’une grande importance, au niveau national et international. Ces Journaux intimes sont donc une source d’une valeur unique: ils reflètent directement la manière dont les soldats ont vécu ces faits historiques.

Les metteurs en scène utilisent tout un matériel dramaturgique pour créer une représentation fluide qui attire l’attention du public sur les discours anti-guerre et souligne la relation volatile entre la victime et l’auteur du crime. Commençant en sourdine puis  allant  crescendo, ce spectacle montre toute la gamme des abus subis par les humains pendant la guerre, tout en s’élevant  contre la violence de genre (un clin d’œil aux féminicides!).


Tassos Tziviskos (Nikitas), Vassilis Kalfakis (Nikolas), Kostas Koutroubis (Miltiades) et Markos Gettos (Anastasis) racontent ces histoires et interprètent aussi avec une riche palette d’émotions, leurs personnages: celle de gens ordinaires confrontés à la brutalité de la guerre et à la division d’un pays  qui s’est trouvé dans une impasse économique et politique absolue. Lena Bozaki (Kori) représente  avec une gestuelle précise, ces femmes dominées par les hommes et dit ainsi toute l’humiliation subie par leur corps.

Anthi Founda a choisi comme seuls éléments scénographiques, des bottes de paille pour suggérer tranchées et guérilla. Leur déplacement constant au cours de la narration marque les changements d’espace et de temps. L’accumulation et la chute brutale de ces bottes symbolise aussi le nombre sans cesse croissant de soldats et civils tombés au combat… La musique d’Alexandra Katerinopoulou et les éclairages de Katerina-Maria Saltaoura suggèrent l’horreur des actes atroces que tout peuple a subi et Efthymis Christou- c’est ici important- a dirigé le mouvement des comédiens. 

Un spectacle à ne pas manquer !

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Choros, 6-8 rue Praviou, Athènes, T. : 0030 2103426736.

 

Σάββατο 20 Απριλίου 2024

Le Roi Lear de William Shakespeare, traduction-adaptation de Stratis Paschalis, mise en scène de Stathis Livathinos


L’intrigue de cette tragédie rappelle celle d’un conte populaire, ou d’une parabole évangélique. Un vieux roi distribue richesse et pouvoir à ses filles Régane et Goneril, hypocrites et ingrates mais déshérite Cordelia la plus jeune, honnête et sincère. 
Lear,  tyrannique, vaniteux, égoïste et têtu  mais sûr de sa grandeur, de sa puissance  absolue et de son omniscience, croit  qu’il est presque un dieu et qu’il a le droit de manipuler à volonté, les gens et leurs émotions.

William Shakespeare écrit ici une allégorie sur l’arrogance du pouvoir et sur la folie humaine. La grande passion et le tourment de Lear sont le purgatoire d’un homme qui découvre les grandes vérités de la vie et du monde, après avoir gravi toute l’ascension de la souffrance, causée à la fois par sa propre folie et la barbarie sociale… à laquelle il a amplement contribué.

Stratis Paschalis a écrit une version moderne et condensée de la célèbre pièce en vingt-six scènes et en un seul lieu, sous une immense coupole étoilée. Les époux des filles de Lear, d’autres rôles mineurs et une partie de la rhétorique exubérante de l’original sont absents. Et Kent et le Fou réunis en une seul personnage. Mais rien ne trahit le style et l’esprit du discours poétique. 
Stathis Livathinos a gardé l’essence  de la pièce et met en scène un XXI ème siècle dominé par la technologie numérique et les écrans.  L’homme est captif d’une réalité virtuelle qui l’aliène de son prochain: une nouvelle forme de maladie… Et ce Lear qui n’a pas de trône, souffre, dans un service de soins intensifs en perpétuel mouvement.

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Hélène Manolopoulou a imaginé un environnement morbide et suffocant, avec nombreux écrans au centre de la scène où des câbles interminables délimitent et submergent l’espace. Les vidéos de Christos Dimas et les éclairages centraux d’Alekos Anastassiou capturent l’invisible et l’indicible du monde mental des personnages. Télémaque Moussas  crée un environnement sonore renforçant le mystère et un climat menaçant, tout en soulignant la contribution de la Nature, dans la confrontation de Lear avec le monde.

Betty Arvaniti, grande comédienne grecque, souligne de manière évolutive et approfondie la cruauté, l’autoritarisme, l’ arrogance, la folie et la dimension tragique de ce Lear qui marche vers sa perte. Nikos Alexiou joue  avec agilité et  précision Kent et le  Fou. Antonis Giannakos (Edgar) incarne avec souplesse, un désespoir confinant à la folie.

Nestoras Kopsidas (Gloucester) exprime sans détour l’expérience de la trahison, de la tromperie et de l’abus que subit ce personnage théâtral et exprime  la relation conflictuelle entre le bien et le mal et Gal Robissa, est impressionnant en aventureux Edmond, avec un mouvement éloquent et un cynisme exemplaires.

Erato Pissi (Cordélia), Eva Simatou (Régane) et Virginia Tabaropoulou (Goneril) sont, avec clarté et poésie, des figures symboliques  et elles agissent comme des vases communicants, mais aussi comme une loupe qui montrerait sous un jour encore plus repoussant, le visage de ce père tyrannique et abusif. Un spectacle à ne pas manquer !


Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre de la rue Kefallinias, 18 rue Kefallinias, Athènes, T. : 0030210 8838727.

 https://www.youtube.com/watch?v=aErWvcVbwVI



 

Τρίτη 26 Μαρτίου 2024

Du Sexe de la femme comme champ de bataille de Matéi Visniec, traduction de Natasha Sideri, mise en scène de Stelios Patsias

Peu après la guerre en Bosnie, l’auteur a écrit avec fougue en trente scènes, cet essai théâtral dense où il analyse en détail les pensées, arguments, conclusions  sur la complexité de la psyché avec une tendance à la méchanceté…

Le dramaturge roumain francophone, malgré ses accusations trouve finalement un exutoire dans un scepticisme optimiste qui apaise le traumatisme. Un enfant à naître est toujours innocent et suscite l’espoir de lendemains meilleurs sans calamités, ni sans ni larmes, bref, sans tous les malheurs dus à l’absence coexistence pacifique à l’échelle planétaire depuis l’origine du monde.

Comme l’indique clairement le titre, Du sexe de la femme comme champ de bataille, le thème principal est ici la violence de genre, ses perceptions stéréotypées et les conséquences dévastatrices qu’elle a sur la vie des gens, quelle que soit la situation spatio-temporelle. Les femmes sont totalement dévalorisées et doivent servir  aux objectifs de vengeance, ici révélés les instincts sombres et sexuels. Dans ce conflit civil, le viol de la femme par un ou plusieurs combattants, est une tactique militaire écœurante pour humilier moralement l’ennemi.

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Les deux femmes ici expriment la solidarité contre la maltraitance, retraçant toutes les étapes de l’obscurité, à la lumière. Dorra a été violée et porte dans son ventre un enfant: son père est la guerre et sa mère, dans l’horreur. Au fil des séances avec la psychologue américaine Kate, confrontée elle aussi à ses propres blessures, elles prendront les décisions qui changeront leur vie.
Nous avons relu le texte en français et la traduction en grec de Natasha Sideri est solide. Stelios Patsias le met en scène avec ingéniosité, en soulignant l’esthétique du texte, partant du réalisme jusqu’au rêve-fantaisie, à un absurde à la limite du grotesque, voire du macabre.
L’espace scénique (décor et costumes de Maria Palanza) est simple : au centre du plateau, un lit d’hôpital et au sol, une ligne claire délimitant le lieu d’action: comme la mosaïque de l’institution thérapeutique ou les tranchées. Nicole Dimitrakopoulou (Dorra) et Sophia Palanza (Kate) incarnent avec une grande fluidité ces personnages. Elles nous donnent l’impression de mondes psychiques grand ouverts. Leur style de jeu à l’humour caustique, est adapté à une « philosophie du mais » où hypocrisie, racisme, intolérance, suspicion et  duplicité de chaque Balkan à l’égard de son voisin différent, sont mis à nu.

Les personnages lèvent de façon répétée un verre de vin et cela culmine  à la fin avec une chute abrupte du texte. L’alternance d’éclairage-clés de Nafsika Christodoulakou et la composition musicale de Giorgos Kassavetes créent une  menace rampante et une terreur, en renforçant le caractère invisible des mots et de certains événements.
Stelios Patsias met en scène un enfant à naître exigeant nourriture, caresses et affection de sa mère à travers son utérus, menaçant de crier s’il en est privé. Antonis Papadakis et Lefteris Katahanas, à moitié nus, avec un masque sinistre, créent une image puissante… Nous avons alors des sentiments mélangés de compassion pour le fœtus, et de malaise devant le monde misérable qui va être le sien… A ne pas manquer !

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Choros, 6-8 rue Praviou, Athènes, T. : 0030 2103426736

https://www.youtube.com/watch?v=JIOxe5xLQ2I

Δευτέρα 11 Μαρτίου 2024

Araf de Yannis Tsiros, mise en scène de Yorgos Paloumpis

 


Une nuit, alors qu’ils préparent fébrilement sur une île la saison estivale, Elias Leoussis, propriétaire d’un hôtel insolite, le Aegean, et Fotis, son jardinier et associé, récupèrent dans leur bateau, sur une mer agitée, un chien sauvage de couleur sombre, effrayé. Avec Matina, la vétérinaire, ils doivent prendre les décisions urgentes concernant cet animal non invité sur l’île dont la présence pourrait entraîner toute une série d’ennuis…

La stérilisation et sa vie dans un refuge semblent être une solution facile et rapide mais les associations de défense des animaux s’y opposent. Après négociations et revirements mettant en évidence l’insécurité, les contradictions psychologiques des trois personnages, un compromis sauvera les apparences… sans effusion de sang.

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Avec allusions et références lisibles, Yannis Tsiros complique habilement l’affaire en photographiant la question de l’immigration et en jetant le doute sur l’issue de cette affaire. Sa nouvelle pièce au titre mystérieux, se prête à de nombreuses lectures. Dans une langue allégorique, Yannis Tsiros peint notre attitude et notre coexistence problématique avec l’autre, l’étranger, le différent, le faible, le sans-défense, le vulnérable… Celui que nous craignons parce que nous ne pouvons pas et/ou ne voulons pas comprendre et accepter. Celui qui nous craint et qui « aboie » pour se défendre contre la suspicion, les préjugés, l’exploitation et l’injustice. Dans un langage allégorique, l’écrivain dit l’hypocrisie, l’indifférence, le cynisme et la spéculation mais surtout l’absence totale d’empathie. Depuis Le Menton mal rasé (2004), Olga invisible (2012) et un an plus tard Graine sauvage et Le Jour du Seigneur en 2022, (voir Le Théâtre du Blog) et maintenant avec Araf, le grand écrivain grec dénonce l’oppression de l’homme sous le poids de la société et la dépendance, résultat d’ un conformisme permanent.

Yorgos Paloumpis fait ressortir dans sa mise en scène, les impératifs du texte à un rythme qui accroît le suspense. Réalisme des décors et costumes de Natasha Papastergiou, éclairages de Vassilis Klotsototiras et composition musicale de Kostas Nikolopoulos soulignent la tension du texte.
Joseph Polyzoidis (Leoussis), Fotis Lazarou (Fotis) et Rania Schiza (Matina) interprètent avec une belle unité de jeu, ces personnages attachants. Ne manquez pas cette pièce qu’il faudrait absolument traduire en français et autres langues.

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Théâtre Apothiki, 40 rue Sarri, Athènes, T. : 0030 210 3253153

 https://www.youtube.com/watch?v=19t2E17xL6U

Κυριακή 11 Φεβρουαρίου 2024

Alifeira (Αλίφειρα), texte et mise en scène d’Andreas Staïkos


Ce grand écrivain et traducteur (quatre-vingt ans) a étudié les lettres à l’université de Thessalonique et été auditeur libre au Conservatoire national d’art dramatique à Paris (classe d’Antoine Vitez). 
Il a écrit et mis en scène ses pièces, entre autres : Clytemnestre peut-être (1974), Karakoroum (1989), Plumes d’autruche (1994), Napoleontia (2007), Alceste ou les Beaux Rêves (2012), Hermione (2022) et Alifeira cette année. Son roman Les Liaisons culinaires a été traduit en de nombreuses langues. 
Sa dernière pièce Alifeira nous a fascinés. Faut-il quitter ce lieu, ou y rester pour toujours ? Certains souhaitent ardemment le quitter et d’autres viennent le découvrir, pleins d’espoir  après avoir lu les récits des ancêtres sur son passé glorieux? Trouveront-ils ce qu’ils cherchent ou s’agit-il de mensonges, illusions et pures déceptions ?

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L’espace chez cet écrivain est  toujours l’occasion d’une aventure linguistique vers l’absurdité, la parodie et le déguisement. C’est un jeu de mots sans fin où émergent des personnages et situations au déroulement choisi par les acteurs en répétition. Créateurs avec l’écrivain et metteur en scène, ils façonnent le texte final, généralement quelques jours avant la première.
Ainsi est née Alifeira. Le grand dramaturge grec s’inspire de la vie de cette ancienne cité oubliée d’Arcadie mais on retrouve ici toutes ses références, obsessions et souvenirs. Le protagoniste est la Langue avec ses allusions, ambiguïtés, négations, présupposés; les dialogues se conjuguent ici avec d’autres textes et avec l’Histoire elle-même. Andreas Staïkos met en évidence la théâtralité, la création d’une autre illusion,  à la recherche de la vérité.

Lela et Papagalina vivent dans le village presque désert d’Alifeira mais ces jeunes femmes sont sur le point de partir. L’arrivée inattendue d’Epaminondas, un archéologue  et d’une excentrique Baronne bouleversera leurs plans. Ces personnages tourbillonnent jusqu’au vertige dans une danse de vérités et mensonges, secrets et tromperies. Et ils se confrontent à de nouvelles questions demeurant sans réponse.
Personne ne reste à Alifeira et personne ne la quitte. Des valises au centre de la scène, signifient l’arrivée et le départ et seront là jusqu’à la fin. Le nouveau se construira sur l’ancien et le présent sur le passé; il le remettra en question, voudra le détruire, mais à partir de ses fragments,  regardera vers l’avenir.
Alexis Kiritsopoulos a conçu un décor à caractère métonymique et les éclairages de Charis Dallas, la musique originale de Nikos Xydakis soulignent le goût doux amer de cette comédie. 

Eleni Zarafidou (Lela) et Emilia Miliou (Papagalina) incarnent ces femmes qui gardent les Thermopyles d’Alifeira, en soulignant l’humour caractéristique de l’auteur. 

Dimitris Passas excelle en Epaminondas et Emmanouela Kontogiorgou est une Baronne sensuelle et imprévisible… Perchée sur ses escarpins,  elle tire avec frénésie sur sa cigarette. 

Laissez-vous séduire par la magie d’Alifeira et riez sans crainte… Peut-être trouverez-vous dans ses ruines, un coin à vous, aussi familier qu’oublié… 

Un spectacle à ne pas manquer !

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre municipal, 32 avenue des héros de Polytechnique, Le Pirée (Grèce).  T. : 00302104143310

Τρίτη 30 Ιανουαρίου 2024

Le Mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux de Mateï Visniec, traduction d’Ersi Vassilikioti, mise en scène de Catherine Papageorgiou


Avec cette œuvre clairement antimilitariste (2005), l’écrivain roumain francophone met l’accent sur les conséquences humanitaires et la culpabilité d’une «victime», symptôme de tout désastre qui s’abat sur l’homme. Des cadavres s’entassent dans une pièce où la solitude de soldats morts écrase celle des vivants qui ont perdu leur enfant, ignorant aussi la terre (la tombe) qui les recouvre.

La Mère, représentant toutes les mères, s’exclame  : «Dans ce pays, une mère heureuse, c' est une mère qui sait où sont enterrés ses enfants. Une mère heureuse est une mère qui peut s’occuper à volonté d’une tombe, et qui est sûre que, dans cette tombe-là, se trouve bien le corps de son fils et non pas un cadavre de fortune ». Ce cri de désespoir universel s’accompagne d’actions presque uniques dans leur symbolisme. Ici, les femmes enterrent leur fils dans des chariots-tombeaux mobiles…

Mateï Visniec économise l’action avec une trouvaille ingénieuse: parmi d’autres, celle du présent-absent. Le fils (Vibko), protagoniste mort, réapparaît comme une ombre désirable  qui parle mais sans  jamais vraiment parler, à ses parents. Le tragique, dans la même économie, est imprégné d’actions violentes touchant au grotesque, en soulageant le spectateur et en rendant aussi pathétique, l’univers du deuil. 

Catherine Papageorgiou illustre le texte avec imagination, en soulignant le scepticisme amer que dégage le personnage d’une vieille Folle: «Tous les os sont mélangés, maintenant, c’est comme ça. À quoi bon vouloir une tombe ? Toute la terre est une tombe. »

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La metteuse en scène suit l’esthétique de l’auteur, fait évoluer les personnages dans un monde cauchemardesque entre réalisme et absurde, voire métaphysique.  Myrto Stampoulou a imaginé une scénographie où sont séparées clairement les actions, avec un objet caractéristique: une table boiteuse au centre du plateau est le signe de la destruction totale de la maison. Les costumes d’Irini Georgakila, la musique originale de Marina Chronopoulou et les éclairages de Kostis Mousikos contribuent à illustrer le deuil et l’identité des personnages.

Mania Papadimitriou, grande actrice grecque (la Mère) exprime avec une émotion contrôlée la profondeur et le poids du chagrin. Elle embellit aussi le rôle de la Patronne avec des éléments comiques: exubérance et extraversion. 

Dimitris Petropoulos évolue dans le même esprit, en exprimant intérieurement l’angoisse et le désespoir du Père mais il montre aussi le cynisme d’un impitoyable maquereau.
Tassos Lekkas incarne le Fils, traçant avec clarté la ligne de démarcation entre le monde des morts et celui des vivants. Il est également Caroline, un travesti intelligent qui condamne avec un esprit caustique toutes les idéologies qui ont mené l’Humanité vers des conflits sanglants et des impasses.

Alexandros Varthis interprète Stanko, le Milicien, le nouveau Voisin, le Soldat, avec le poids des mots et une expression fondée sur l’exagération. Dans le Nouveau Voisin en particulier, il exprime de façon para-linguistique mais poignante l’attitude impitoyable d’un homme n’ayant ni barrières ni inhibitions… et à l’intelligence et à l’empathie limitées…
Elisa Skolidi joue Ida, une fille effrayée et vulnérable, réduite à se prostituer, transmettant terreur et insécurité. La danse sensuelle sur une barre suspendue (chorégraphie de Chrysiis Liatziviri et pole danse, Mello Diannellaki) symbolise l’éclat trompeur d’un monde nocturne où rien n’est ce qu’il semble être... Elisa Skolidi excelle en Mirka, la vieille dame folle au visage mauvais et dans une transformation fulgurante, elle joue habilement des tons comiques ou dramatiques, toujours sur le fil du rasoir.

L’image finale de ce spectacle incontournable est le retour de la Fille, à la maison, optimiste malgré tout: «Et la maison n’est pas entièrement brûlée, on va s’en sortir.» Et quand Ida creuse la terre et y plante une fleur, un jeune homme, sans dire un mot, arrose cette fleur avec… du papier-monnaie: l’argent gouverne le monde et c’est l’ennemi… 

Mateï Visniec serait sans doute heureux de voir ce spectacle !

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Théâtre Bellos, 1 rue Kekropos, Plaka, Acropole d’Athènes. T. : 00306948230899.

Σάββατο 6 Ιανουαρίου 2024

Cochons d’Inde de Sébastien Thiéry, traduction de Thomas Voulgaris, mise en scène d’Evi Dimitropoulou

 


La troisième pièce de l’écrivain français qui a obtenu deux Molières en 2009,  est créée en Grèce. Cette comédie dénonce un système financier intransigeant mais sans donner une leçon de morale et fait rire le public.

Vassilis Vlachos excelle en Alain Kraft, un bourgeois de cinquante-huit ans d’origine modeste. Il vient effectuer un retrait en espèces à sa banque mais la nouvelle direction indienne de l’établissement a bloqué son compte et refuse de le laisser partir. On l’accuse d’avoir enfreint la loi, en s’étant enrichi et ayant «changé de caste».

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L’acteur incarne, entre sérieux et burlesque, toute une gamme des sentiments : surprise, confusion, angoisse, colère, indignation, compromis… de ce client, victime d’un système autoritaire qui va gérer sa fortune au nom de la justice sociale !
Chryssovalantis Kostopoulos interprète avec charme et mystère un guichetier solitaire qui dévoile progressivement le besoin d’être aimé et un comportement manipulateur.
Elissavet Stavridou (Brigitte) crée une personnage excentrique qui entre dans un délire amoureux pour Alain Kraft et fait généreusement rire. Andriani Toundopoulou est sublime dans les personnages  de La Dame, La Mère et L’Indien et elle fait ressortir tout le comique absurde de cet univers kafkaïen. Bref, Cochons d’Inde dans la mise en scène précise d’Evi Dimitropoulou est un bon spectacle !

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Alexandria, 14 rue Spartis, Athènes, T. : 0030 2121007079.