Lorna et Carrie sont unies par les liens du mariage depuis vingt ans. Elles s’aiment. Mais Lorna est atteinte d’une maladie de dégénérescence neuronale. Miriam, son médecin, lui propose alors un traitement salvateur pour éviter la fatalité. Cela lui permettra de vivre mais effacera une grande partie de ses souvenirs, en particulier les années passées avec sa femme qui seront effacées. La pièce est fondée sur des références médicales, ce qui renforce la tension dramatique, tout en évitant le mélodrame. Et Nick Payne a observé minutieusement la plus grande privation vécue par l’homme: à savoir ce gouffre incorrigible projeté sous forme exagérée par l’absence, la perte et le manque de l’Autre.
Le dramaturge gère brillamment le temps en déroulant les événements à l’envers: cela commence par la fin où Lorna, saine de corps, ne reconnaît pas du tout sa femme. L’enchaînement des scènes se fait donc à rebours et Nick Payne décrit de manière poignante les étapes d’une décision douloureuse et met en lumière les limites de la bioéthique.
Dimitris Kioussis, avec un langage théâtral fluide et vivant, a su mettre en valeur dans sa traduction, les termes et explications scientifiques sur le langage expérimental. Fotis Makris qui signe une mise en scène bien-rythmée et les éclairages, insiste sur l’aspect spectaculaire et place les visages des interprètes à des postes de tir dans un environnement stérile et cauchemardesque, envahi d’écrans et de fils. Ces lumières exemplaires illustrent le traumatisme invisible d’un esprit dérangé. Images fortes d’une plaie ouverte. Et nous avons aimé la précision et la dynamique de l’excellente vidéo de Foivos Samartzis qui a créé un espace à l’intérieur de l’espace, complétant ainsi de manière critique, les dialogues de Nick Payne. La musique de Nilos Karagiannis contribue à l’esthétique d’un environnement audiovisuel morbide angoissant, voire proche de la terreur et Vassiliki Syrma a imaginé des costumes simples mais correspondant aux qualités des personnages.
Stella Krouska incarne avec sensibilité la psyché labyrinthique de Lorna et maîtrise les couleurs tonales de la voix dans les éclats dus à la maladie. Maria Tsima (Carrie) est profondément émouvante, quand elle capitule en silence, face à l’inévitable et elle souligne le sacrifice d’une femme qui aime sa compagne et qui veut le meilleur pour elle. L’actrice a su créer une sensualité à travers des vibrations intérieures impulsives. Fani Panagiotidou (Miriam) incarne ce médecin qui garde une distance par rapport à l’émotion et qui accomplit son devoir avec une froide logique. Un rôle métonymique multidimensionnel où l’actrice met bien en valeur les thèmes de cette pièce. A voir.