Τετάρτη 5 Μαρτίου 2025

Élégie de mémoire de Nick Payne, traduction de Dimitris Kioussis, mise en scène de Fotis Makris

 


La mémoire, élément fondamental du fonctionnement général de la pensée, nourrit notre vie d’humains d’expériences spatio-temporelles: nous sommes d’abord tout ce dont nous nous souvenons. Notre plus grand effort: préserver cette identité, de la naissance, à la mort. Si l’on perd la mémoire, quelqu’un d’autre doit nous rappeler les visages et les choses, pour que notre vie conserve les fils d’une continuité nécessaire. Mais tout sera-t-il comme avant ?

Dans Élégie de mémoire (2016), le dramaturge britannique éclaire l’indicible douleur de celui qui porte seul le lourd fardeau des souvenirs. Tournant son regard vers un futur proche, il contemple l’Homme qui profitant des avantages de l’avancée des technologies et de la science, en payant souvent un lourd tribut. La pièce est fondée sur une condition hypothétique: articuler les dilemmes réels apparaissant à travers le temps dans les relations humaines.

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Lorna et Carrie sont unies par les liens du mariage depuis vingt ans. Elles s’aiment. Mais Lorna est atteinte d’une maladie de dégénérescence neuronale. Miriam, son médecin, lui propose alors un traitement salvateur pour éviter la fatalité. Cela lui permettra de vivre mais effacera une grande partie de ses souvenirs, en particulier les années passées avec sa femme qui seront effacées. La pièce est fondée sur des références médicales, ce qui renforce la tension dramatique, tout en évitant le mélodrame. Et Nick Payne a observé minutieusement la plus grande privation vécue par l’homme: à savoir ce gouffre incorrigible projeté sous forme exagérée par l’absence, la perte et le manque de l’Autre.
Le dramaturge gère brillamment le temps en déroulant les événements à l’envers: cela commence par la fin où Lorna, saine de corps, ne reconnaît pas du tout sa femme. L’enchaînement des scènes se fait donc à rebours et Nick Payne décrit de manière poignante les étapes d’une  décision douloureuse et met en lumière les limites de la bioéthique.

Dimitris Kioussis, avec un langage théâtral fluide et vivant, a su mettre en valeur dans sa traduction, les termes et explications scientifiques sur le langage expérimental. Fotis Makris qui signe une mise en scène bien-rythmée et les éclairages, insiste sur l’aspect spectaculaire et place les visages des interprètes à des postes de tir dans un environnement stérile et cauchemardesque, envahi d’écrans et de fils. Ces lumières exemplaires illustrent le traumatisme invisible d’un esprit dérangé. Images fortes d’une plaie ouverte.  Et nous avons aimé la précision et la dynamique de l’excellente vidéo de Foivos Samartzis qui a créé un espace à l’intérieur de l’espace, complétant ainsi de manière critique, les dialogues de Nick Payne. La musique de Nilos Karagiannis contribue à l’esthétique d’un environnement audiovisuel morbide  angoissant, voire proche de la terreur et Vassiliki Syrma a imaginé des costumes simples mais correspondant aux qualités des personnages.


Stella Krouska incarne avec sensibilité la psyché labyrinthique de Lorna et maîtrise les couleurs tonales de la voix dans les éclats dus à la maladie. Maria Tsima (Carrie) est profondément émouvante, quand elle capitule en silence, face à l’inévitable et elle souligne le sacrifice d’une femme qui aime sa compagne et qui veut le meilleur pour elle. L’actrice a su créer une sensualité à travers des vibrations intérieures impulsives. Fani Panagiotidou (Miriam) incarne ce médecin qui garde une distance par rapport à l’émotion  et qui accomplit son devoir avec une froide logique. Un rôle métonymique multidimensionnel où l’actrice met bien en valeur les thèmes de cette pièce. A voir.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Studio Mavromichali, 134 rue Mavromichali, Athènes.  T. : 0030 2106453330
 
https://www.youtube.com/watch?v=P4mT5mi4tTI
 

Κυριακή 19 Ιανουαρίου 2025

Conférence iranienne d’Ivan Viripaev, traduction d’Isabelle Konstantinidou, mise en scène de Christos Théodoridis


Une conférence de haute conception théâtrale vient détruire toutes les idées reçues sur un événement similaire. Conférence, un mot qui  sonne souvent comme un ensemble de discours académiques interminables, obscurs et ennuyeux, uniquement compréhensibles par les experts qui y participent. Conférence Iranienne (2018) une pièce mise en scène de façon exceptionnelle par Christos Theodoridis, ressemble  à un symposium scientifique aux implications et au point culminant, imprévisibles.

©Mike Rafail

©Mike Rafail

Le lecteur ou spectateur, constamment vigilant, identifie, approuve ou désapprouve, s’indigne et cherche anxieusement des réponses. Le titre de l’œuvre fait penser à celui d’une analyse politiques-clés sur la  difficile question de l’Iran et  sur la guerre géopolitique sévissant au Moyen-Orient.
L’action se déroule à Copenhague (Danemark) un pays «insouciant», dans l’amphithéâtre d’une université; quelques éminents orateurs développent leur point de vue avec ferveur, passion… et en toute sécurité, sur les suites désastreuses des guerres mondialisées. Ils n’ont jamais vécues personnellement ces situations mais s’appuient sur plusieurs sources d’information, en fonction de leur idéologie…

Contributions-monologues et dialogues parfois conflictuels mais toujours aux limites de la décence… propre à une institution universitaire. Les personnages sont ramenés à des corpus d’idées et représentent des positions socio-politiques et religieuses opposées. Une arène d’idéologies et visions du monde pour ceux qui arbitrent le destin des nations.
Les délégués aborderont ici des thèmes touchant plus largement à l’existence humaine, comme le rôle et la signification de la religion: Dieu existe-t-il et, si oui, fixe-t-il notre destin? Pourquoi permet-il qu’il y ait des injustices et inégalités sociales, et ses guerres où des gens sont tués ? Pourquoi les Droits de l’homme sont-ils violés? Pourquoi les femmes sont-elles encore vues comme inférieures aux hommes? Quelles sont les limites de la liberté de chacun? Quel rôle joue la chance dans la construction du bonheur? Quel est le secret de la réussite? Pourquoi l’amour n’existe pas ? Pourquoi la communication est-elle perdue et, en définitive, quel est le sens de la vie d’une femme ou d’un homme ?
Les neuf délégués, assis face public, prennent la parole devant les micros. Côté jardin, à un petit bureau, une secrétaire silencieuse (Xenia Themeli). Et côté cour, le dynamique Philip Rasmussen, professeur de relations internationales, chargé de présider les interventions et modérer les débats… Georges Kissandrakis joue ce personnage avec agilité et les spectateurs peuvent intervenir et poser des questions (certaines…préparées) et cette interactiai est intéressant.
Les travaux s’ouvrent sur la position froidement rationnelle de Daniel Christensen, enseignant de lettres classiques et activiste du mouvement international European Islam (Marios Manthou). Oliver Larsen, eneignant de théologie (excellent Michel Pitidis) va provoquer la première explosion. Mais avec un discours argumenté et un dynamisme qui étonne son interlocuteur, Astrid Petersen  journaliste militante des Droits de l’Homme (Eleftheria Angelitsa) prône la devise: « Vivre, apprendre le monde, penser librement et aimer ».
Emma Schmidt-Pulsen, épouse du Premier ministre danois, figure connue de la télévision et présidente de l’organisation caritative mondiale Inter Action  (Chryssi Bachtsevani) décrit avec éloquence et sensibilité, le bonheur qui se lit sur le visage des pauvres habitants d’un hameau péruvien, en contraste avec l’anxiété et la vacuité de l’existence de riches Occidentaux.
L’analyste politique Magnus Thomsen (incarné avec une riche expressivité par Paris Alexandropoulos) a des idées racistes d’extrême droite. L’acteur révèle avec franchise le traumatisme psychique de son personnage  qui, enfant, a subi les attouchements d’un prêtre son enfance.
Gustav Jensen, philosophe et écrivain danois est remarquablement joué par Dimitris Mandrinos et le Père Augustin de l’Église évangélique luthérienne danoise se lance dans une allocution extravagante (Aris Laskos). Mais l‘aspect de la conférence change quand arrive Pasqual Andersen, chef de l’Orchestre national (Vassilis Triffoultsanis). Il a une présence subversive et des gestes significatifs)
Le discours final est prononcé par la poétesse iranienne Shirin Shirazi. Lauréate du Nobel, libérée après vingt ans d’assignation à résidence, elle a vécu sous le régime autoritaire du pays, le thème de cette  conférence. Niki Chryssofaki, captivante, l’interprète avec simplicité.
Difficile de retranscrire les émotions intenses ressenties quand le chef d’orchestre donne le signal: l’un après l’autre,  les délégués se lèvent et tous se lancent dans une bacchanale, apogée d’un tourbillon scénique. Sur une chorégraphie de Xenia Themeli, les acteurs  mettent les sens en émoi, sans aucune exagération.  Et tout le public a alors  envie de se lever et danser ! Nous attendons avec impatience que soit publiée la traduction d’Isabelle Konstantinidou. Une expérience théâtrale cathartique à ne pas rater !
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
ΠΛΥΦΑ, Bâtiment 7 A, 39 rue Korytsas, Votanique, Athènes. T. : 0030 2103473642.

Δευτέρα 2 Δεκεμβρίου 2024

Débrayage de Rémi De Vos, traduction d’Ersi Vassilikioti, mise en scène de Vassilis Triantafyllou


Les écrivains veulent souvent faire tenir l’immensité du monde sur une feuille de papier en adoptant un langage poignant, accusateur, souvent tonitruant et sans complaisance. Écrite dans un élan de jeunesse, avec des mots martelés: cris de rage, indignation et désespoir, la première pièce (1994) du dramaturge, au titre caractéristique, incite clairement le lecteur, auditeur ou spectateur à réagir, à lever le poing de la résistance et à donner le signal d’une rébellion dont la matière première est son Golgotha personnel au quotidien.

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Rémi de Vos montre l’hésitation du citoyen craintif et soumis. Comment faire grève? Comment s’opposer à l’injustice et comment enfin  se révolter, quand on a des enfants, des dettes et obligations ? Dans les treize instantanés numérotés de cet auteur français (peu importe l’ordre où ils sont joués), défilent les personnages familiers qui habitent le monde moderne et qui revendiquent une place au soleil, avec une vraie vie plutôt qu’une survie.
C’est un essai théâtral sur le rôle du pouvoir dans les relations humaines, au lit, au bureau, dans la rue… Avec scepticisme et amertume sur le «triomphe de la vulgarité de l’argent, de la mode, des faux-semblants, du glamour, de la laideur, de la pornographie…»

Rémi de Vos ne mâche pas ses mots et parle clairement des inégalités sociales, du chômage, de la concurrence déloyale imposant flatterie, délation, horaires inhumains et conditions de travail épuisantes. Dans un système capitaliste impitoyable, tout se mesure en termes de profit. « C’est simple comme une équation : plus d’argent, plus de vie. Dis-moi combien tu gagnes, je te dirai combien tu es.»
Vassilis Triantafyllou met bien en valeur le riche discours sémantique de Rémi de Vos, en alternant adresse au spectateur et utilisation du « quatrième mur »… Il arrive à créer ainsi une relation dialectique entre auteur et public. La mise en scène a un bon rythme et il passe sans effort, d’un moment à l’autre, et invente un langage audiovisuel avec des images signifiantes comme la lutte érotique de corps asexués,  et des sons. L’inclusion des paroles:  « Tais-toi, ne parle pas » de l’écrivain et dramaturge  turc Aziz Nesin (1915-1995) est, à un moment-clé de la représentation, tout à  fait pertinente.
La tempête d’images-un mur vidéo 3 D de Michalis Pastras-complète de manière critique l’aspect invisible des significations, en soulignant les rythmes étouffants des grandes villes modernes où le temps est de l’argent. La musique de Nikolas Gale est en relation étroite avec les lumières de Yorgos Ayannitis: elles se concentrent sur l’événement attendu et surtout sur sa subversion, pour agir comme catalyseurs d’émotion et forces motrices du tourbillon de l’esprit. Alexandros Davilas, Alexandros Theodoropoulos, Evangelia Kalogianni, Emmanouela Karytinou, Niki Koutelieri, Maria Bati et Vassilis Triantafyllou se partagent les personnages avec une véritable unité de jeu et un  bel esprit d’équipe.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Noūs-Creative Space, 34 rue Troias, Athènes.  T. : 0030 2108237333.

Πέμπτη 7 Νοεμβρίου 2024

Les Créanciers d’August Strindberg, traduction d’Elsa Andrianou, mise en scène d’Aris Troupakis

 


Cette pièce tendue et ramassée commence sur le ton de la comédie et finit par un dénouement tragique inattendu mais fort bien amené. L’écrivain suédois y exprime toutes ses souffrances et ses conceptions radicales du couple et de la femme.

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Dans le salon d’un hôtel en bord de mer, deux hommes se retrouvent : ils ont aimé la même femme et en parlent. Gustaf (Philippos Sofianos), un professeur âgé, a été le premier mari et le pygmalion  de Tekla (Dimitra Chatoupi).  Adolf (Yorgos Stavrianos), plus jeune, a ensuite épousé Tekla et lui a apporté un autre enrichissement personnel et la fit socialement progresser. N’est-elle pas devenue une écrivaine à succès ?
Mais Tekla a repris sa liberté. N’a-t-elle pas des dettes envers ces amants qui ont fait d’elle une personne aujourd’hui estimée et reconnue ? Comme le pensent ces hommes, Tekla a pris chez eux tout ce dont elle avait besoin, tel un vampire. Ainsi ne les a-t-elle pas volés, diminués, spoliés ? Ils sont ses « créanciers ».

Gustaf manipule Adolf pour qu’il prenne pleinement conscience du mal qui lui a été fait et qu’une vengeance soit ourdie. Mais il joue un double jeu et est sans pitié pour Adolf, diminué par des crises d’épilepsie et il veut reconquérir Tekla qui face à leur hostilité, dispose seulement de son intelligence et de sa passion pour la liberté. Décor minimal avec juste quelques accessoires nécessaires à ce huis-clos. La mise en scène est rythmée et chaque silence, significatif. Les excellents comédiens soulignent bien le jeu de manipulation et les rapports entre les deux sexes, lestés de créances et dettes mais sans reconnaissance ni remise. Un spectacle de  grande qualité dans un théâtre-bijou d’Athènes !
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre EΛΕΡ, 10 rue Frynichou, Athènes. T. : 0030 211 7353 928
 
https://www.youtube.com/watch?v=T1ekey0TSys



 

Παρασκευή 30 Αυγούστου 2024

Hamlet de William Shakespeare, traduction de Georges Chimonas, mise en scène de Themis Moumoulidis


La célèbre pièce, connue dans le monde entier, a fait l’objet  d’innombrables lectures-interprétations. Et il y a autant d’Hamlet que de commentateurs, metteurs en scène, interprètes, spectateurs… C’est la tragédie d’un esprit noble et éclairé qui se rebelle, quand s’ébranlent toutes ses croyances personnelles, philosophiques et politiques.

C’est si terrible et sa méditation sur les ruines, si irrépressible, qu’elle le paralyse et le conduit à s’auto-détruire.  Une libération et une rédemption pour cet étudiant en philosophie qui recherche passionnément la vérité et, qui  en homme éminent de la Renaissance, doute de tout. Cet Hamlet est poussé par un amour de la connaissance théorique, mais aussi par la tragédie personnelle qu’il vivra : obtenir une vengeance dictée par le fantôme de son père tué par l’amant de sa mère.
Proche d’Œdipe, non au sens freudien mais parce qu’il lutte passionnément  comme lui, pour apprendre la vérité et qu’en l’apprenant, il se détruit lui-même. La question existentielle « Vivre. Ne pas vivre.» englobe la question « Agir ou ne pas agir. », même contre soi-même.
Mais à quoi bon pour Hamlet, puisque selon lui,  l’action ne peut avoir d’effet sur rien, et que l’inaction aboutit au même résultat: une incapacité à réparer les choses et à changer un monde qui ne vaut pas la peine d’être vécu s’il n’est pas changé….


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Georges Chimonas
  a donné en 1988, un nouvel élan au texte de Shakespeare, en créant un discours théâtral  à plusieurs niveaux. Ce qui permet aux acteurs d’évoluer avec aisance dans l’interprétation linguistique et para-linguistique des rôles.

Sa traduction a guidé Themis Moumoulidis qui met en scène un spectacle vivant et rapide de cette pièce qui devient compréhensible par un large public.



Themis Moumoulidis lit et fait clairement ressortir les plis complexes du texte shakespearien, tout en cultivant le suspense et l’attention du public.
Il y a ici une attention portée aux détails  et l’environnement sombre, mystérieux et menaçant capture la psyché des personnages. En imaginant une scénographie avec d’ingénieuses cachettes,  Mikaela Liakatas sert les nuances sémantiques du mouvement de Patricia Apergi, rehaussé par la musique de Stavros Gasparatos.  Eclairages-clés de Nikos Sotiropoulos, costumes de Vassiliki Syrma, vidéos de Thomas Palyvos et travail à l’épée d’Anastassis Roilos incarnant Hamlet de manière évolutive et profonde vers les multiples dimensions de l’âme: Themis Moumoulidis a bien choisi ses collaborateurs et ses interprètes.
Ioanna Pappa (Gertrude) se distingue par sa maturité expressive. Michael Syriopoulos (Claudius) montre toute la tromperie et le cynisme du personnage. Thodoris Skyftoulis (Polonius, Le Fossoyeur) et Thanassis Dovris (
Rosencrantz, Vernardios, Premier Acteur, Le Roi, Le Prêtre, le Capitaine, Osric) sont très à l’aise  dans tous leurs rôles. Marouska Panagiotopoulou (Guildenstern, Le Reine, La Dame), Jenny Kazakou (Ophélie), Aris Ninikas (Horace) et Dimitris Apostolopoulos (Laertes, Lucian, Marcellus, Fortebras) complètent bien cette distribution.

 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Le spectacle est actuellement en tournée en Grèce.
 
https://www.youtube.com/watch?v=FuF0l2iCPWc  

Τρίτη 14 Μαΐου 2024

Le Rêve de l’Ionie, à travers Les Journaux intimes des soldats de la campagne d’Asie mineure d’Antonis Kyriakakis, adaptation de Haris Valassopoulos, mise en scène d’Antonis Kyriakakis et Giorgos Paterakis

Ce texte est fondé sur les journaux intimes des soldats pendant la campagne d’Asie mineure, un événement historique qui, dans la conscience historique, est resté presque invisible à côté de la phase ultime de la deuxième guerre gréco-turque, avec le massacre ou l’expulsion des populations chrétiennes d’Asie Mineure. 

En Grèce même, elle provoqua d’importants bouleversements politiques (coup d’État de 1922, Procès des Six, etc.) et aboutit finalement à la chute de la monarchie en 1924. C’est  la plus grande tragédie de l’hellénisme au XX ème siècle.

Mais cet événement montre comment cette catastrophe s’est produite. Le soutien des grandes puissances étrangères à Elefthérios Venizélos, les conquêtes de l’armée grecque en Asie mineure, le traité de Sèvres, la tentative d’assassinat d’Elefthérios Venizélos, les élections de 1920 et le changement de direction politique et militaire en Grèce qui suivit, la décision de poursuivre la campagne, le changement d’équilibre diplomatique, la stagnation et la retraite de l’armée grecque ont été des événements interconnectés d’une grande importance, au niveau national et international. Ces Journaux intimes sont donc une source d’une valeur unique: ils reflètent directement la manière dont les soldats ont vécu ces faits historiques.

Les metteurs en scène utilisent tout un matériel dramaturgique pour créer une représentation fluide qui attire l’attention du public sur les discours anti-guerre et souligne la relation volatile entre la victime et l’auteur du crime. Commençant en sourdine puis  allant  crescendo, ce spectacle montre toute la gamme des abus subis par les humains pendant la guerre, tout en s’élevant  contre la violence de genre (un clin d’œil aux féminicides!).


Tassos Tziviskos (Nikitas), Vassilis Kalfakis (Nikolas), Kostas Koutroubis (Miltiades) et Markos Gettos (Anastasis) racontent ces histoires et interprètent aussi avec une riche palette d’émotions, leurs personnages: celle de gens ordinaires confrontés à la brutalité de la guerre et à la division d’un pays  qui s’est trouvé dans une impasse économique et politique absolue. Lena Bozaki (Kori) représente  avec une gestuelle précise, ces femmes dominées par les hommes et dit ainsi toute l’humiliation subie par leur corps.

Anthi Founda a choisi comme seuls éléments scénographiques, des bottes de paille pour suggérer tranchées et guérilla. Leur déplacement constant au cours de la narration marque les changements d’espace et de temps. L’accumulation et la chute brutale de ces bottes symbolise aussi le nombre sans cesse croissant de soldats et civils tombés au combat… La musique d’Alexandra Katerinopoulou et les éclairages de Katerina-Maria Saltaoura suggèrent l’horreur des actes atroces que tout peuple a subi et Efthymis Christou- c’est ici important- a dirigé le mouvement des comédiens. 

Un spectacle à ne pas manquer !

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Choros, 6-8 rue Praviou, Athènes, T. : 0030 2103426736.

 

Σάββατο 20 Απριλίου 2024

Le Roi Lear de William Shakespeare, traduction-adaptation de Stratis Paschalis, mise en scène de Stathis Livathinos


L’intrigue de cette tragédie rappelle celle d’un conte populaire, ou d’une parabole évangélique. Un vieux roi distribue richesse et pouvoir à ses filles Régane et Goneril, hypocrites et ingrates mais déshérite Cordelia la plus jeune, honnête et sincère. 
Lear,  tyrannique, vaniteux, égoïste et têtu  mais sûr de sa grandeur, de sa puissance  absolue et de son omniscience, croit  qu’il est presque un dieu et qu’il a le droit de manipuler à volonté, les gens et leurs émotions.

William Shakespeare écrit ici une allégorie sur l’arrogance du pouvoir et sur la folie humaine. La grande passion et le tourment de Lear sont le purgatoire d’un homme qui découvre les grandes vérités de la vie et du monde, après avoir gravi toute l’ascension de la souffrance, causée à la fois par sa propre folie et la barbarie sociale… à laquelle il a amplement contribué.

Stratis Paschalis a écrit une version moderne et condensée de la célèbre pièce en vingt-six scènes et en un seul lieu, sous une immense coupole étoilée. Les époux des filles de Lear, d’autres rôles mineurs et une partie de la rhétorique exubérante de l’original sont absents. Et Kent et le Fou réunis en une seul personnage. Mais rien ne trahit le style et l’esprit du discours poétique. 
Stathis Livathinos a gardé l’essence  de la pièce et met en scène un XXI ème siècle dominé par la technologie numérique et les écrans.  L’homme est captif d’une réalité virtuelle qui l’aliène de son prochain: une nouvelle forme de maladie… Et ce Lear qui n’a pas de trône, souffre, dans un service de soins intensifs en perpétuel mouvement.

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Hélène Manolopoulou a imaginé un environnement morbide et suffocant, avec nombreux écrans au centre de la scène où des câbles interminables délimitent et submergent l’espace. Les vidéos de Christos Dimas et les éclairages centraux d’Alekos Anastassiou capturent l’invisible et l’indicible du monde mental des personnages. Télémaque Moussas  crée un environnement sonore renforçant le mystère et un climat menaçant, tout en soulignant la contribution de la Nature, dans la confrontation de Lear avec le monde.

Betty Arvaniti, grande comédienne grecque, souligne de manière évolutive et approfondie la cruauté, l’autoritarisme, l’ arrogance, la folie et la dimension tragique de ce Lear qui marche vers sa perte. Nikos Alexiou joue  avec agilité et  précision Kent et le  Fou. Antonis Giannakos (Edgar) incarne avec souplesse, un désespoir confinant à la folie.

Nestoras Kopsidas (Gloucester) exprime sans détour l’expérience de la trahison, de la tromperie et de l’abus que subit ce personnage théâtral et exprime  la relation conflictuelle entre le bien et le mal et Gal Robissa, est impressionnant en aventureux Edmond, avec un mouvement éloquent et un cynisme exemplaires.

Erato Pissi (Cordélia), Eva Simatou (Régane) et Virginia Tabaropoulou (Goneril) sont, avec clarté et poésie, des figures symboliques  et elles agissent comme des vases communicants, mais aussi comme une loupe qui montrerait sous un jour encore plus repoussant, le visage de ce père tyrannique et abusif. Un spectacle à ne pas manquer !


Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre de la rue Kefallinias, 18 rue Kefallinias, Athènes, T. : 0030210 8838727.

 https://www.youtube.com/watch?v=aErWvcVbwVI