Dans L’Ombre de Mart, l’écrivain explore la question du salut et témoigne de l’angoisse de l’homme moderne, vaincu, abandonné par la raison, victime de lui-même et fuyant sa propre histoire.
Cette pièce est aussi une réflexion profonde sur la guerre et ses ambiguïtés et une variation sur le culte du héros mort… Et une tragédie où la femme est objet de désir et cause d’échec et surtout pour un jeune homme, éternel perdant, écrasé par l’ombre de son frère.
En 1947, Still Dagerman avait rencontré à Paris l’écrivaine juive Etta Federn qui avait survécu à l’occupation nazie. Un de ses deux fils, résistant, a été assassiné par la milice française. L’auteur s’inspire de cette histoire pour écrire cette pièce où il noircit le tableau. Il met en scène une femme monstrueuse et poussant au matricide Gabriel, son fils cadet survivant mais mal-aimé.
Tout commence par une histoire de tableau. On sonne à la porte. C’est le facteur qui apporte un tableau représentant Mart, mort à la guerre en héros courageux et que tout le monde glorifie.
Son ombre, ce fameux « mort à la guerre », pèse lourdement sur le jeune Gabriel. Par lâcheté et comme il a été réformé pour cause de myopie, il n’est jamais allé au front et a continué à vivre normalement. Il va tomber amoureux de Thérèse, l’amante de Mart.
Mais l’amour de sa mère et de Thérèse est digne d’un homme courageux, et non d’un lâche. Victor qui, lui, a combattu, est plus digne. La mère de Mart lui offrira son fusil et Thérèse, son amour. Gabriel se retrouvera alors bien seul…La demeure est comme un mausolée élevé à la mémoire de Mart, héros tué au combat et elle est devenue une maternité nazie où, en dépit d’efforts incessants, on n’a pas encore réussi à éliminer les «mal-faits» comme Gabriel…
Là, se terre « la bête immonde », toujours prête à renaître et tant redoutée par Bertolt Brecht. Tuer sa mère, «crime impensable», devenir «le serpent», c’est anéantir ce cerveau inique et choisir de ne plus avoir de dialogue qu’avec la mort.
Still Dagerman a réussi avec L’Ombre de Mart à écrire une confession dramatique qui est aussi l’autobiographie d’un poète abandonné par sa mère à la naissance. Il révèle ici les cauchemars qui le hantent et le vide effroyable qui l’a laissé infirme à jamais.
Chryssa Kapsouli a mis en scène ce spectacle avec un bon rythme, et où sont dévoilées les pensées intimes de l’écrivain. Mais elle accentue aussi discrètement l’aspect politique du texte. Cela se passe dans le salon où trône le portrait de Mart, et dans la chambre de Thérèse, un espace de passion/confession: là se révèlent les personnages. La pénombre et les lumières contrastées imaginées par Yorgos Ayiannitis tracent des lignes de séparation entre rêve et réalité.
Aimilia Ypsilandi incarne cette mère despotique, haineuse, et au dynamisme et à la sévérité remarquables. Fotis Karalis souligne la fragilité, la peur et l’instabilité mais aussi et surtout, le traumatisme de Gabriel, ce fils à la recherche d’un amour maternel et charnel à la fois.
Séduction, passion et sensualité féminine : Emmanuelle Kontogiwrgou fait de Thérèse, un personnage complexe et crée le mystère en ajoutant un élément de doute. Enfin, Theofilos Manologlou joue avec clarté un Victor, fat et manipulateur… La mise en scène comme la direction d’acteurs de Chryssa Kapsouli sont remarquables, à la hauteur de ce grand texte.
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Argw, 15 rue Elefsiniwn, Athènes, T. : 00302105201684
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