Τετάρτη 21 Μαΐου 2025

Vol/Kossovo de Jeton Neziraj, traduction en grec d’Eleana Ziakou, mise en scène d’Enke Fezollari

 


Aux Balkans, en des temps troublés, histoires de trahison, conflits civils, grandes puissances qui s’affrontent créent des sécessions, guerres et révolutions dans des lieux d’une importance géopolitique particulière où les États-Unis sont omniprésents. Et le Kosovo, ce morceau de terre, devient un prix à revendiquer.

Ce dramaturge kosovar de langue albanaise (quarante-huit ans) situe l’action  de cette pièce (2012) dans un théâtre, à l’époque de la déclaration d’indépendance, après une série de conflits meurtriers et d’affrontements internationaux. Théâtre dans le théâtre, comme dans l’hilarant Noises off de Michael Frayn, la pièce s’ouvre sur la troupe mercantile du Théâtre National. Les acteurs répètent En attendant Godot de Samuel Beckett et sirotent raki sur raki. Chacun d’eux rêve d’une vie différente…
Le protagoniste décadent qui a une femme et une maîtresse, se consacre au Roi Lear de William Shakespeare qu’il peut jouer à tout moment, malgré trop d’alcool et les années qui passent. L’actrice principale s’imagine jouer Scarlett O’ Hara d‘Autant en emporte le vent dans un célèbre théâtre de Broadway. Le metteur en scène veut surtout la gloire et l’argent et, bien sûr, un poste permanent de metteur en scène.Leur routine paranoïaque va être perturbée par l’arrivée du Secrétaire aux sports ! Il aspire à devenir ministre et, sur ordre du Premier ministre qui veut et peut le rester, il commande un spectacle pour commémorer l’anniversaire de l’indépendance qui reprendrait tous les événements historiques qui l’ont définie. Ce grand projet serait peut-être réalisable si l’on connaissait… ce jour de l’Indépendance mais il reste malheureusement un secret d’État! S’ensuit une série d’événements hilarants couvrant avec art le drame des Kosovars piégés dans des intérêts à l’étranger mais qui refusent de voir la réalité, préférant simuler l’amour, poursuivre des carrières insignifiantes et trouver un argent inexistant, se tendre des pièges les uns aux autres, faire du chantage, pratiquer des extorsions… et boire sans arrêt.


Dans un élan de patriotisme, l’éclairagiste essayera de piloter une machine volante artisanale pour diffuser des proclamations indépendantistes et être un héros aux yeux de son père décédé et de la nation. Un scénario qui rappelle le légendaire Underground d’Emir Kusturica (1995) mais sans les personnages qui s’apparentent plus ici à des caricatures.La juxtaposition comique des héros et l’alternance tonitruante d’actions absurdes et sarcastiques participent à une satire impitoyable de la psyché du lumpen, des excès nationalistes et des ambitions inaccessibles, de l’opportunisme politique écrasant l’art, de la censure impitoyable et presque absurde, et de la soumission à toute force qui peut garantir une paranoïa absolue, une décadence humiliante et une confusion impensable.

Enke Fezollari suit la ligne dramaturgique qu’il s’est fixée et crée un spectacle dense avec  élans d’interprétation intenses, chorégraphies légères, nombreux airs des Balkans, reconstitutions de clichés reconnaissables, extraits d’œuvres patriotiques prospérant sous les régimes autoritaires, tours comiques improvisés et confrontations assourdissantes. Mais l’action avec une tension artificielle, n’est pas ici soulagée par des scènes plus douces qui  permettraient aux personnages d’exister avec clarté.
Mais Ada Giannoukaki, Kyriakos Kosmidis, Chrysovalantis Kostopoulos, Apostolos Malebitzis et Enke Fezollari, tous très bons acteurs, suivent avec aisance le rythme épuisant de cette création et en font ressortir les éléments comiques grâce à une discipline  impressionnante. Dans l’esprit de cette mise en scène, les décors et costumes de Giorgos Lyntzeris, la musique de Dani Koumartzis, les éclairages de Semina Papalexandropoulou et les vidéos d’Ada Liakos participent à la réussite de ce spectacle.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Noūs-Creative Space, 34 rue Troias, AthènesT. : 0030 2108237333
 
https://www.youtube.com/watch?v=ry6MY_Tj0V0
 

Κυριακή 4 Μαΐου 2025

L’Aide-mémoire de Jean-Claude Carrière, traduction en grec de Thomas Voulgaris, mise en scène de Kostas Vassardanis



Une pièce écrite en 1968. Jean-Jacques collectionne les conquêtes féminines. Un matin, une inconnue sonne à sa porte : Suzanne semble s’être trompée d’adresse. Sans-gêne, elle s’installe chez lui, le dérange dans ses habitudes et met la main sur l’aide-mémoire où il consigne soigneusement les noms de ses amantes et des renseignements personnels.

Elle devient vite indispensable à ce célibataire endurci. Entre eux, un dialogue se noue : elle lui confesse qu’elle recherche Philippe Ferrand, père d’un enfant qu’elle n’a pas gardé. Charmé par l’inconnue, il quitte son comportement donjuanesque et lui avoue son amour.
Dans la deuxième partie de la pièce, Suzanne se fait retenir par Jean-Jacques, trop amoureux pour la laisser partir, mais qui refuse de l’épouser: ils partageront l’appartement. Suzanne, pour le rendre jaloux, lui raconte à Jean-Jacques qu’elle a reçu la visite de Philippe Ferrand et apprend que son hôte s’appelle… Jean-Jacques Ferrand. Il passe tout le jour suivant avec elle, mais le tour fusionnel que prend leur relation effraie Suzanne prête à s’enfuir. Mais c’est Jean-Jacques qui part, lui laissant l’appartement.
Il lui rendra visite de temps en temps. Elle le regarde sortir, comme à regret.

Classique, l’histoire du séducteur séduit est ici fondée sur des incertitudes et sur un dialogue voué à l’obscurité. Suzanne figure-t-elle dans l’aide-mémoire ? Si oui, Jean-Jacques est-il l’homme qu’elle recherche ? Autant de questions laissées en suspens.
Et rien ne nous permet de savoir quand le dialogue est fondé sur la vérité ou sur le mensonge. L’histoire de Suzanne, le nom de Jean-Jacques peuvent n’être que des inventions… Et l’aide-mémoire dont ils parlent tant, n’est donc d’aucune utilité aux personnages.
Cette comédie a une fin ambiguë : Suzanne attend-t-elle Jean-Jacques ? Et lui reviendra-t-il ? Ils n’ont pas d’avenir et leur destin reste aussi improbable qu’avant leur rencontre. Peut-être faut-il voir ici la griffe d’un scénariste qui a travaillé avec Luis Bunuel, Louis Malle, Milos Forman…

Kostas Vassardanis est fidèle à l’esprit du texte et renforce le mystère et le suspense d’une façon exceptionnelle. Sa mise en scène est bien rythmée et il projette avec clarté le jeu entre vérité et mensonge. Kostas Vassardanis, un des meilleurs comédiens de la nouvelle génération, incarne Jean-Jacques avec nuances avec une voix et une gestualité remarquables.. Daphni Skroubelou est tout aussi excellente et le public est séduit. A ne pas manquer !

 Nektarios – Georgios Konstantinidis

 Studio Mavromichali, 134 rue Mavromichali, Athènes. T. : 0030 2106453330.

Τετάρτη 5 Μαρτίου 2025

Élégie de mémoire de Nick Payne, traduction de Dimitris Kioussis, mise en scène de Fotis Makris

 


La mémoire, élément fondamental du fonctionnement général de la pensée, nourrit notre vie d’humains d’expériences spatio-temporelles: nous sommes d’abord tout ce dont nous nous souvenons. Notre plus grand effort: préserver cette identité, de la naissance, à la mort. Si l’on perd la mémoire, quelqu’un d’autre doit nous rappeler les visages et les choses, pour que notre vie conserve les fils d’une continuité nécessaire. Mais tout sera-t-il comme avant ?

Dans Élégie de mémoire (2016), le dramaturge britannique éclaire l’indicible douleur de celui qui porte seul le lourd fardeau des souvenirs. Tournant son regard vers un futur proche, il contemple l’Homme qui profitant des avantages de l’avancée des technologies et de la science, en payant souvent un lourd tribut. La pièce est fondée sur une condition hypothétique: articuler les dilemmes réels apparaissant à travers le temps dans les relations humaines.

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Lorna et Carrie sont unies par les liens du mariage depuis vingt ans. Elles s’aiment. Mais Lorna est atteinte d’une maladie de dégénérescence neuronale. Miriam, son médecin, lui propose alors un traitement salvateur pour éviter la fatalité. Cela lui permettra de vivre mais effacera une grande partie de ses souvenirs, en particulier les années passées avec sa femme qui seront effacées. La pièce est fondée sur des références médicales, ce qui renforce la tension dramatique, tout en évitant le mélodrame. Et Nick Payne a observé minutieusement la plus grande privation vécue par l’homme: à savoir ce gouffre incorrigible projeté sous forme exagérée par l’absence, la perte et le manque de l’Autre.
Le dramaturge gère brillamment le temps en déroulant les événements à l’envers: cela commence par la fin où Lorna, saine de corps, ne reconnaît pas du tout sa femme. L’enchaînement des scènes se fait donc à rebours et Nick Payne décrit de manière poignante les étapes d’une  décision douloureuse et met en lumière les limites de la bioéthique.

Dimitris Kioussis, avec un langage théâtral fluide et vivant, a su mettre en valeur dans sa traduction, les termes et explications scientifiques sur le langage expérimental. Fotis Makris qui signe une mise en scène bien-rythmée et les éclairages, insiste sur l’aspect spectaculaire et place les visages des interprètes à des postes de tir dans un environnement stérile et cauchemardesque, envahi d’écrans et de fils. Ces lumières exemplaires illustrent le traumatisme invisible d’un esprit dérangé. Images fortes d’une plaie ouverte.  Et nous avons aimé la précision et la dynamique de l’excellente vidéo de Foivos Samartzis qui a créé un espace à l’intérieur de l’espace, complétant ainsi de manière critique, les dialogues de Nick Payne. La musique de Nilos Karagiannis contribue à l’esthétique d’un environnement audiovisuel morbide  angoissant, voire proche de la terreur et Vassiliki Syrma a imaginé des costumes simples mais correspondant aux qualités des personnages.


Stella Krouska incarne avec sensibilité la psyché labyrinthique de Lorna et maîtrise les couleurs tonales de la voix dans les éclats dus à la maladie. Maria Tsima (Carrie) est profondément émouvante, quand elle capitule en silence, face à l’inévitable et elle souligne le sacrifice d’une femme qui aime sa compagne et qui veut le meilleur pour elle. L’actrice a su créer une sensualité à travers des vibrations intérieures impulsives. Fani Panagiotidou (Miriam) incarne ce médecin qui garde une distance par rapport à l’émotion  et qui accomplit son devoir avec une froide logique. Un rôle métonymique multidimensionnel où l’actrice met bien en valeur les thèmes de cette pièce. A voir.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Studio Mavromichali, 134 rue Mavromichali, Athènes.  T. : 0030 2106453330
 
https://www.youtube.com/watch?v=P4mT5mi4tTI
 

Κυριακή 19 Ιανουαρίου 2025

Conférence iranienne d’Ivan Viripaev, traduction d’Isabelle Konstantinidou, mise en scène de Christos Théodoridis


Une conférence de haute conception théâtrale vient détruire toutes les idées reçues sur un événement similaire. Conférence, un mot qui  sonne souvent comme un ensemble de discours académiques interminables, obscurs et ennuyeux, uniquement compréhensibles par les experts qui y participent. Conférence Iranienne (2018) une pièce mise en scène de façon exceptionnelle par Christos Theodoridis, ressemble  à un symposium scientifique aux implications et au point culminant, imprévisibles.

©Mike Rafail

©Mike Rafail

Le lecteur ou spectateur, constamment vigilant, identifie, approuve ou désapprouve, s’indigne et cherche anxieusement des réponses. Le titre de l’œuvre fait penser à celui d’une analyse politiques-clés sur la  difficile question de l’Iran et  sur la guerre géopolitique sévissant au Moyen-Orient.
L’action se déroule à Copenhague (Danemark) un pays «insouciant», dans l’amphithéâtre d’une université; quelques éminents orateurs développent leur point de vue avec ferveur, passion… et en toute sécurité, sur les suites désastreuses des guerres mondialisées. Ils n’ont jamais vécues personnellement ces situations mais s’appuient sur plusieurs sources d’information, en fonction de leur idéologie…

Contributions-monologues et dialogues parfois conflictuels mais toujours aux limites de la décence… propre à une institution universitaire. Les personnages sont ramenés à des corpus d’idées et représentent des positions socio-politiques et religieuses opposées. Une arène d’idéologies et visions du monde pour ceux qui arbitrent le destin des nations.
Les délégués aborderont ici des thèmes touchant plus largement à l’existence humaine, comme le rôle et la signification de la religion: Dieu existe-t-il et, si oui, fixe-t-il notre destin? Pourquoi permet-il qu’il y ait des injustices et inégalités sociales, et ses guerres où des gens sont tués ? Pourquoi les Droits de l’homme sont-ils violés? Pourquoi les femmes sont-elles encore vues comme inférieures aux hommes? Quelles sont les limites de la liberté de chacun? Quel rôle joue la chance dans la construction du bonheur? Quel est le secret de la réussite? Pourquoi l’amour n’existe pas ? Pourquoi la communication est-elle perdue et, en définitive, quel est le sens de la vie d’une femme ou d’un homme ?
Les neuf délégués, assis face public, prennent la parole devant les micros. Côté jardin, à un petit bureau, une secrétaire silencieuse (Xenia Themeli). Et côté cour, le dynamique Philip Rasmussen, professeur de relations internationales, chargé de présider les interventions et modérer les débats… Georges Kissandrakis joue ce personnage avec agilité et les spectateurs peuvent intervenir et poser des questions (certaines…préparées) et cette interactiai est intéressant.
Les travaux s’ouvrent sur la position froidement rationnelle de Daniel Christensen, enseignant de lettres classiques et activiste du mouvement international European Islam (Marios Manthou). Oliver Larsen, eneignant de théologie (excellent Michel Pitidis) va provoquer la première explosion. Mais avec un discours argumenté et un dynamisme qui étonne son interlocuteur, Astrid Petersen  journaliste militante des Droits de l’Homme (Eleftheria Angelitsa) prône la devise: « Vivre, apprendre le monde, penser librement et aimer ».
Emma Schmidt-Pulsen, épouse du Premier ministre danois, figure connue de la télévision et présidente de l’organisation caritative mondiale Inter Action  (Chryssi Bachtsevani) décrit avec éloquence et sensibilité, le bonheur qui se lit sur le visage des pauvres habitants d’un hameau péruvien, en contraste avec l’anxiété et la vacuité de l’existence de riches Occidentaux.
L’analyste politique Magnus Thomsen (incarné avec une riche expressivité par Paris Alexandropoulos) a des idées racistes d’extrême droite. L’acteur révèle avec franchise le traumatisme psychique de son personnage  qui, enfant, a subi les attouchements d’un prêtre son enfance.
Gustav Jensen, philosophe et écrivain danois est remarquablement joué par Dimitris Mandrinos et le Père Augustin de l’Église évangélique luthérienne danoise se lance dans une allocution extravagante (Aris Laskos). Mais l‘aspect de la conférence change quand arrive Pasqual Andersen, chef de l’Orchestre national (Vassilis Triffoultsanis). Il a une présence subversive et des gestes significatifs)
Le discours final est prononcé par la poétesse iranienne Shirin Shirazi. Lauréate du Nobel, libérée après vingt ans d’assignation à résidence, elle a vécu sous le régime autoritaire du pays, le thème de cette  conférence. Niki Chryssofaki, captivante, l’interprète avec simplicité.
Difficile de retranscrire les émotions intenses ressenties quand le chef d’orchestre donne le signal: l’un après l’autre,  les délégués se lèvent et tous se lancent dans une bacchanale, apogée d’un tourbillon scénique. Sur une chorégraphie de Xenia Themeli, les acteurs  mettent les sens en émoi, sans aucune exagération.  Et tout le public a alors  envie de se lever et danser ! Nous attendons avec impatience que soit publiée la traduction d’Isabelle Konstantinidou. Une expérience théâtrale cathartique à ne pas rater !
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
ΠΛΥΦΑ, Bâtiment 7 A, 39 rue Korytsas, Votanique, Athènes. T. : 0030 2103473642.