Jean Anouilh est un auteur
dramatique qui se distingue par la diversité des sujets qu’il emploie ainsi que
de la forme des situations sur lesquelles il s’appuie, pour montrer le lien
entre la vie et le fait « théâtre » qui la dépasse. En effet, son microcosme
théâtral décrit la partie métonymique des choses qui tissent les occupations et
les préoccupations quotidiennes. Ainsi, la métaphore acquiert sa place entière
et devient ultra-fonctionnelle à partir du moment où elle traduit et interprète
le passage d’une réalité historique à une réalité fantasmatique, fictionnelle.
Dans sa pièce Antigone, Anouilh garde intacte la fable
archétypale de la tragédie de Sophocle tout en lui insufflant l’air de l’époque
aux alentours de 1944, date de la première représentation de la pièce devant le
public français. Toutefois, l’intertexte d’Anouilh se construit petit à petit,
au fur et à mesure que l’entre-deux-guerres fournit des exemples de tortures et
de luttes humaines qui poussent les intellectuels, écrivains et artistes, à la
protestation pour dénoncer le totalitarisme et tout ce qu’engendre de maléfique
à savoir l’esprit nazi et le fascisme. Aussi, l’entre-deux-guerres
s’enrichit-il de potentiel en ce qui concerne la révolte et la résistance contre
l’horreur et les atrocités de la Seconde Guerre Mondiale. De toute façon,
Antigone antique est déjà synonyme de résistance. Elle se place du côté de ceux
qui aspirent à exercer leur devoir de citoyen face à ceux qui exercent le
pouvoir. Antigone d’Anouilh dénonce l’élément conflictuel au profit d’une cité
pacifique et favorable envers les citoyens consciencieux réclamant leur droit à
la désobéissance à l’égard d’un système politique considéré comme injuste.
Notons que le nouvel élément
qu’apporte l’intertexte d’Antigone, d’après
Jean Anouilh, se base sur le renouvellement du « contrat » entre les
vieux systèmes de valeurs mis en cause. En outre, on remet en vigueur les vieux
codes coutumieux dans le but d’y reconnaître la valeur universelle de tel ou
tel élément qui codifie l’histoire dans l’ « ici et
maintenant ». De cette manière, l’actualisation d’Antigone de Sophocle s’avère un acte de grande importance au niveau
de la symbolisation, comme procédure qui assure la codification de l’archétype
et sa portée dans l’actualité. Anouilh respecte la matière première qui lui est
offerte par le texte du poète tragique grec. Comme son précédant, il focalise
sur l’ « agon » de logos, donc sur la lutte au niveau de
l’argumentation formulée dans la perspective d’exprimer une opinion. C’est
ainsi qu’Anouilh formule le discours de la bravoure et du sentiment face au
discours du devoir et de la raison. Sous cette optique, le conflit paraît
inévitable si l’on y ajoute l’intransigeance des uns et des autres. A partir de
là, le discours du tragique, renouvelé par Anouilh, remet en situation l’homme
en train de se mesurer avec ses propres ressources foncières de l’
« égo » coexistentiel.
Il est à souligner que la
traduction grecque de Stratis Paschalis se met au service de l’auteur français
dans une « rencontre » des plus harmonieuses au niveau de la
production de signification. En ce qui concerne la thématique surtout, le
traducteur grec conduit son texte à la découverte d’un univers tout nouveau,
attaché pourtant au climat conflictuel qui a fait naître, d’abord la
« mythologie » d’Antigone à travers Sophocle, puis celle d’Anouilh. Antigone d’Anouilh prend ses distances
par rapport à l’antiquité, juste pour mettre à la lumière du jour les
antinomies de tout conflit majeur, élaboré dans un centre, c’est-à-dire dans un
huis clos caractéristique pour emmener au plus profond et au plus large du
discours de la guerre. Stratis Paschalis traduit en interprète convaincu
l’intertexte d’Anouilh, tout en le traitant comme une occasion de toucher à des
problèmes de l’actualité crue et cruelle. L’on dirait, d’ailleurs, que la
traduction de Paschalis en constitue un nouvel intertexte qui commente la
dialectique de l’allusion et des mots couverts jusqu’à ce qu’éclate ce quelque
chose depuis longtemps attendu avec aversion.
Antigone d’Anouilh est représentée dans le cadre du Festival
d’Athènes, au Théâtre « Rex », sous la direction d’Hélène Efthymiou,
dans une mise en scène particulièrement choquante, vue l’ambiance maladive dans
laquelle plonge l’histoire de la fille d’Œdipe. C’est plutôt cet élément qui
constitue le détail significatif du discours conflictuel, demi
« innocent » et/ou inoffensif et demi nuisible et mortel. En effet,
la fable d’Antigone d’Anouilh se
développe dans une maison de retraite, un asile ou même un endroit dans un
hôpital d’invalides, parfaitement dessiné et mis sur pied par la scénographie
de Zoé Molyvda Fameli. Les objets qui indiquent la signifiance de la localité
sont les ventilateurs, utilisés comme objet – extase, manipulés dans le but de
renforcer l’air maladif dans son mouvement perpétuellement clos. Les
« habitants » de cet espace semblent irrévocablement cloués et
immobiles.
Dans le rôle d’Antigone, Vassiliki
Troufacou donne plutôt l’impression de raconter l’itinéraire du personnage et
de la personnalité d’Antigone, sans approfondir vraiment aux profondeurs de
l’héroïne tragique. Par contre, Stelios Maïnas, en tant que Créon, conduit le
spectacle entier à d’autres horizons beaucoup plus solides et sensibles, pour
ce qui est les fondements de l’archétype du pouvoir vilipendé par les
circonstances dues à l’impotence.
Le Chœur, incarné par l’acteur
Phédon Kastris, exprime le fonctionnement du « masque » qui met en
miettes le personnage référé. Aussi, la Nourrice d’Aneza Papadopoulou,
crée-t-elle une présence faite de sympathie et d’acceptation. En outre,
l’Ismène de Jeanne Mavréa et l’Hémon de Georges Frintzilas jouent entre la
mesure et la démesure dans le jeu de l’acteur. De même, les gardes de Nicos
Dalas et d’Erricos Litsis construisent une paire dynamique au niveau de leur
participation artistique qui ne passe pas inaperçu. D’ailleurs, Erricos
Miliaris, comme le Page de Créon, malgré le peu de paroles, qui lui sont
fournies, souligne sa présence de façon particulière ainsi que Marie Liami, qui
incarne le personnage muet d’Eurydice traversant majestueusement l’espace dans
sa marche vers le suicide.
Il est à noter que la pièce
d’Anouilh se termine sur les paroles de l’écrivain montrant la mise en place
des gardes, une fois que la fable prend fin. Le Chœur dit : « Il ne
reste plus que les gardes. Eux, tout ca, cela leur est égal ; c’est pas
leurs oignons. Ils continuent à jouer aux
cartes… ». Cependant, la mise en scène passe outre les indications
de l’auteur, comme il aurait fallu faire, d’après nous, et ne saisit pas
l’occasion de montrer la suite peu flattante à travers l’indifférence des
gardes face au sérieux de l’histoire : pour eux, le destin fait son
travail. A Thèbes, on attend le retour de Sphinx et d’Œdipe comme si de rien
n’était.
Festival
d’Athènes 2016
Nektarios-Georgios Konstantinidis
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