Roberto Zucco (1988) de
Bernard-Marie Koltès est une pièce de théâtre à épisodes. Cela dit, le
spectateur est sensé poursuivre le trajet du personnage central qui se réfère à
un meurtrier, le jeune italien Roberto Zucco. Celui-ci commet des crimes
accumulés dans un espace précis et suivant les circonstances particulières,
depuis l’étranglement de sa mère jusqu’à l’assassinat d’un inspecteur de police
et d’un jeune adolescent dans un parc.
Dans cette pièce, comme dans la
plupart des pièces de Koltès, l’espace joue un rôle de catalyte et donne l’impression
de dialoguer avec les personnages qui y habitent. Après tout, Koltès relate
dans sa pièce la vraie histoire du jeune meurtrier italien Roberto Succo dont
les meurtres avaient bouleversé la société française vers la fin des années
’80. Koltès se sert de l’appareil mythique, qui évolue en légende, pour
« enrichir » le personnage en lui fournissant des éléments pris dans
la liturgie de Mithra, par exemple, son but étant celui de mettre sur pied le
discours et la dialectique du héros. Roberto tue sans vouloir tuer. Cela arrive
d’une façon toute naturelle : il passe, il écrase et c’est tout. Ceux qui
sont voués à la mort ils meurent, les autres survivent pour
« raconter » les faits. La réflexion du héros koltésien est simple et
ne se complique que pour rendre moins cruelle la pulsion instinctive de
l’assassin. En outre, l’auteur utilise certaines manières linguistiques pour
soutenir le passage du texte à la représentation. Il semble que les épisodes
s’élèvent en unités théâtrales qui poussent à l’extrême, l’on dirait, le
spectacle à travers les rencontres caractéristiques de Zucco. Notons également
que Koltès accoure à la litote de la métonymie tout en mettant en valeur
particulière la métaphore : l’apparition, toute shakespearienne des deux
gardiens, entreprend de créer le premier paradoxe que l’on rencontre dans le
texte de Koltès : la façon « philosophique » et le cours du
dialogue entre les deux gardiens renforcent, par exemple, l’implicite par
rapport à l’explicite. Le « duo » des gardiens forme une sémiologie
du regard attentif sur l’ensemble des signes qui forgent la personnalité d’un
meurtrier. A travers les paroles du syllogisme des gardiens, Koltès se déclare
du côté de ceux qui mettent en doute la phénoménologie supportée par la simple
apparence. D’après cela, tout être dans le meilleur des mondes possibles est un
meurtrier possible.
La représentation de Roberto Zucco, au Théâtre « Karolos Koun », dans la mise en scène
d’Angela Brouskou, s’appuie sur la théâtralisation d’un sujet grave qui s’offre
à la mise en spectacle de tout ce qui concerne le personnage vu par l’écrivain.
D’ailleurs, la mise en scène de madame Brouskou cherche à « aliéner »
les traits des visages mouvants et, pour ce faire, elle se place, elle-même,
sur la scène du jeu, une caméra à la main, fixée sur un chevalet, qu’elle mamie
à sa façon. Son but est de créer peut-être un nouveau « masque » sur
le masque du rôle et de créer aussi divers « miroirs » reflétant un
regard, une bouche mi-ouverte, une grimace, au moment de son inscription sur le
visage de l’acteur etc. Ainsi, le « discours » photo-graphique de la
représentation laisse peu de place, pensons-nous, à l’incarnation des
symbolismes d’un rôle. Aussi le visage de l’actrice Parthenopi Bouzouri qui
interprète trois personnages de la pièce, la Mère, la Dame au parc et la
Patronne du Petit Chicago, n’offre-t-il pas, la substance caractéristique,
propre de chacun des rôles indiqués. Le visage de l’actrice demeure un masque
unique, presque immobile dans ses nombreuses expressions, souvent moqueuses et,
de toute façon, portées vers une sorte de distanciation brechtienne. La même
remarque on peut faire pour l’acteur Stratos Tzortzoglou qui interprète trois
rôles aussi, l’Inspecteur, le grand frère et le vieux monsieur au métro ainsi
que l’actrice Georgianna Dalara qui interprète la Gamine. Les acteurs Antonis
Tsiller et Andréas Antoniadis incarnent d’une façon exceptionnelle les deux
gardiens.
Il est à souligner que la
représentation au Théâtre « Karolos Koun », sous la direction
d’Angela Brouskou, unifie les produits de la mythologie, disons métaphysique,
et la cruauté des actes commis par un meurtrier doux et gentil comme l’Ange de
la mort. L’acteur Kostas Nikouli, qui interprète Roberto Zucco, concentre en
lui les deux dimensions du personnage koltésien : un meurtrier au visage
beau, chaste, charmant et en même temps porteur de l’instinct de destruction.
Ce mélange de douceur et de cruauté tisse l’antinomie et la force de la pièce
de Koltès qui peut désormais être interprété d’après le discours procuré par
tout « ici et maintenant ». Une fois la diachronie assurée, la boîte
des idées n’est jamais vidée.
Nektarios-Georgios Konstantinidis
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