Des hommes d’affaires réunis à la terrasse de chez Francis, place de l’Alma à Paris, donc tout près de la Comédie des Champs Elysées que dirigeait Louis Jouvet, cherchent une combine très lucrative. Un prospecteur leur annonce alors qu’existerait un immense champ de pétrole dans le sous-sol de la capitale française Autour d’eux, un ballet de personnages que leur bon sens fait ici apparaître comme farfelus : un chanteur des rues, un sourd-muet, un chiffonnier, un hurluberlu et celle qu’ils appellent: la Folle de Chaillot… Elle a pris sous sa protection un jeune homme, Pierre, qui tentait de se jeter dans la Seine. Il révèle qu’un prospecteur lui avait demandé de liquider un homme qui faisait obstacle à ses entreprises. Les spéculateurs s’étant éclipsés, le chiffonnier fait la leçon à la Folle : «Le monde file un mauvais coton.» et est «plein de mecs» qui ont mis leurs semblables en coupe réglée. «Il n’y a qu’à les supprimer», tranche la Folle de Chaillot.
Au deuxième acte, celle que les didascalies nomment maintenant Aurélie, reçoit dans un sous-sol Constance, Gabrielle et Joséphine, ses pittoresques homologues de Passy, Saint-Sulpice et Place de la Concorde, chacune avec ses lubies mais qui se rallient à son projet. A une seule condition : qu’un procès ait lieu. Et le chiffonnier acceptera de se faire l’avocat des bandits et jouera aussi l’un d’eux.
Ce procès -une pièce dans la pièce- est celui de l’argent, de la spéculation et des privilèges.
Aurélie reçoit l’autorisation d’éliminer les exploiteurs. Les présidents des conseils d’administration, prospecteurs des syndicats d’exploitation, représentants du peuple affectés aux intérêts pétrolifères de la nation, syndics de la presse publicitaire, avides, cyniques et vulgaires à souhait, sont tous attirés par l’idée de trouver du pétrole… Mais ils se précipitent dans un souterrain sans issue dont Aurélie refermera l’accès. Il suffit, déclare-t-elle en guise de moralité, d’une femme de sens pour que la folie du monde se casse les dents. Et, au chiffonnier, elle lance : « Dès que menacera une autre invasion de vos monstres, alertez-moi tout de suite.
Ici, invraisemblance et fin faussement optimiste digne de Guignol mais jamais l’écrivain n’avait pourtant mis autant de fantaisie que dans cette pièce où s’annoncent l’absurde et l’insolite du Nouveau théâtre. La verve du satiriste est souvent mordante quand il donne la parole aux financiers : «Là où nous passons, dit l’un, ni le gazon ni le monument ne repoussent. Et pour un autre : « Les billets de cent francs sont aux riches et non aux pauvres. « Vous avez les capitaux ? J’ai un démarcheur-coulissier. »
Pour Arthur Miller, Jean Giraudoux a écrit l’acte d’accusation le plus direct qu’on ait jamais dressé contre l’exploitation capitaliste. Les Français lui ont parfois préféré Paolo Paoli d’Arthur Adamov ou La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht mais aujourd’hui la modernité de cette pièce est plus dans un dialogue pétillant d’inventions loufoques. «A midi, tous les hommes, dit Aurélie, s’appellent Fabrice. » Ou encore: «Tout chien, sans son vrai nom, maigrit.» Et « Vous ne devez pas caresser Dicky quand il n’est pas là, dit Constance. C’est mal… » Bref, le premier Eugène Ionesco n’est pas loin.
Petros Zoulias met en scène à nouveau ce chef-d’œuvre classique mais le ramène, en soulignant sa pertinence, aux temps actuels. Cette pièce fut l’un des grands succès de Katína Paxinoú avec Alexis Minotis, au Théâtre National d’Athènes en 1966. Quinze ans plus tard, Andreas Voutsinas, pour le Théâtre National du Nord de la Grèce, lui donne une nouvelle vie avec Despo Diamantidou. Une interprétation historique… Antigone Valakou en 2003, mise en scène par Koraïs Damatis, puis Anna Panagiotopoulou, dirigée en 2014 par Petros Zoulias ont aussi joué Aurélie au Théâtre National d’Athènes.
Ici, Petros Zoulias accentue l’esthétique du conte avec joyeux et oniriques, un décor majestueux très coloré, de beaux costumes de Deni Vachlioti, une musique originale de la grande compositrice Evanthia Reboutsika, les lumières de Melina Masha et une traduction avec références discrètes au monde contemporain: mails, s.m.s., réseaux sociaux… comme aux féminicides et autres fléaux.
Elissavet Konstantinidou crée une Aurélie sensible, romantique et prête à changer le monde. La dernière scène nous restera en mémoire: quand les exploiteurs la menacent avec une arme, elle descend du plateau, s’avance vers le public et l’incite à suivre ses rêves. Et la scène du procès est aussi remarquable avec Nikos Moutsinas (Le Chiffonnier) dans un excellent monologue. Petros Zoulias est arrivé à garder l’esprit politique du texte et pour lui Jean Giraudoux est une sorte de Brecht parisien. Il a également adouci une langue parfois académique et a rendu accessible l’œuvre de cet écrivain à un large public. Le metteur en scène a aussi essayé de simplifier sans trahir- le mal est puni, le bien triomphe- de divertir sans recettes faciles et faire réfléchir, tout en n’étant pas ennuyeux… A consulter: un riche programme-livret avec textes sur Jean Giraudoux, la pièce et ses mises en scène, et de nombreuses photos.
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Pallas, 5 rue Voukourestiou, Athènes. T. : 0030 2103213100
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