Παρασκευή 29 Δεκεμβρίου 2017

Candide ou L’Optimisme de Voltaire, adaptation – mise en scène de Thomas Moshopoulos, Théâtre « Porta »

Le conte philosophique de Voltaire, publié en 1759 et révisé en 1761, démontre que le monde va mal et qu’il pourrait aller mieux, si l’on commençait par dire moins de bêtises. En attendant, mieux vaut rire que pleurer, tout en cultivant notre jardin. Candide conjugue la philosophie et le comique.
Le destin mouvementé de Candide et des autres personnages contredit la théorie philosophique de l’optimisme, selon laquelle tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, mais sans la détruire tout à fait, puisque la plupart des personnages finissent par se retrouver près de Constantinople, pour cultiver sagement leur jardin en renonçant à la métaphysique.
Thomas Moshopoulos propose une adaptation théâtrale du conte tout en créant des dialogues qui communiquent le message philosophique sans perdre la vivacité du langage parlé. Il garde intact l’esprit de l’écrivain et souligne la critique caustique en insistant sur la dimension comique de l’œuvre. Le metteur en scène propose un spectacle qui clarifie les notions philosophiques sans alourdir l’humeur du spectateur, en revanche une ambiance joyeuse domine l’espace et s’incline vers le divertissement. Le décor d’Evangelia Thérianou et les costumes de Clare Bracewel renvoient à l’époque des Lumières et rappellent à travers la métonymie les données historiques du conte. L’esthétique de la mise en scène est soutenue par les chorégraphies de Sophia Pashou et les lumières de Sophia Alexiadou.
Les comédiens Michalis Syriopoulos, Hélène Vlachou, Irène Boudalis, Efsthathie Tsapareli, Manos Galanis, Pantelis Vassilopoulos, Foivos Siméonidis, Vassilis Koulakiotis et Dimitris Fourlis interprètent avec enthousiasme tous les personnages de l’intrigue. Toute la troupe joue les rôles avec la fougue des petits enfants qui racontent une histoire à ne pas manquer !

Nektarios-Georgios Konstantinidis


Théâtre « Porta », 59 Avenue Messogeion, Athènes, tél. 0030 210 771 1333

Σάββατο 23 Δεκεμβρίου 2017

La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat, mise en scène Nikos Mastorakis, spectacle en grec, traduction Marianna Kalbari

La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat, mise en scène Nikos Mastorakis, spectacle en grec, traduction Marianna Kalbari

La pièce La Réunification des deux Corées (écrite en 2013) est composée de vingt instantanés, vingt moments en guise d’épisodes autonomes, qui gardent toutefois une espèce d’interdépendance assurant l’unité interne de l’œuvre. Joël Pommerat tisse la fable de chaque instantané en partant du personnel pour arriver aux grandeurs du général œcuménique. Il s’agit d’un écrivain qui avance dans la dramatisation de ses personnages à pas lents mais décidés. Tout en révélant les éléments constitutifs de ses instantanés théâtraux, l’auteur place son public face à de multiples problématiques concernant la vie intérieure du mortel. La rhétorique de Joël Pommerat n’insiste pas sur l’argument posé. Il nous incite plutôt à trouver la solution convenable à commencer par le principe de la raison. Ensuite, l’auteur nous conduit aux principes de l’imagination et, dernièrement, il nous amène dans le cadre du faisable.
Joël Pommerat met l’accent sur le manque d’affection dans la vie des gens qui ne communiquent pas bien qu’ils se rencontrent éventuellement tous les jours. L’auteur français avance très loin dans le psychisme de l’homme ordinaire qui s’oblige à suivre l’habitude devenant d’ailleurs sa seconde nature. L’auteur entreprend de bafouer l’habitude et cherche ainsi à rétablir la notion de la particularité, de la chose donc différente à travers laquelle l’homme peut se sentir libéré et intègre. Joël Pommerat provoque la conscience de l’homme et exerce sur l’existence même sa critique dépourvue de tout faste provenant du bavardage. En peu d’espace de logos, il étend un vaste « territoire » des notions et des concepts.   
Le théâtre de Pommerat favorise de façon continue la mise en scène par le biais d’un tribunal. Ses personnages portent dans leurs profondeurs la particularité qui enfonce l’impossible : le rêve d’un rapprochement devient de plus en plus utopique. Alors il faut porter plainte… Le théâtre de Pommerat se transforme soit en ring où deux parties se battent, soit en tribunal où celui qui gagne ce sera celui qui présentera l’argumentation la plus avantageuse. Cependant, tout est possible et baigne dans l’incertitude due au doute.  
Le spectacle qu’a crée Nikos Mastorakis est une révélation pour les spectateurs grecs. La construction scénique – un labyrinthe métallique – fonctionne symboliquement. Le metteur en scène insiste avec hardiesse sur la question du doute qui ressemble à une sorte d’essence vénéneuse distillée doucement et dont l’efficacité est sûre. Au fond, il y a toujours le manque : manque d’amour, manque de justice, manque de sincérité, manque d’héroïsme et ainsi de suite.
Les comédiens Gerasimos Genatas, Cléon Grigoriadis, Ioanna Mavrea, Loukia Michalopoulou, Konstantina Takalou, Théodora Tzimou et Thanos Tokakis incarnent les personnages tout en soulignant les nuances sentimentales. Chacun d’eux se manifeste dans les rôles, qui lui sont confié, avec beaucoup d’ardeur tout en défendant sa propre personnalité d’acteur.
À ne pas manquer !

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Technis « Karolos Koun »

5, rue Pesmazoglou, Athènes, 0030 210 32 28 706

Πέμπτη 16 Νοεμβρίου 2017

Le Funambule de Jean Genet, mise en scène Zoi Manda, spectacle en grec, traduction Michele Valley, Zoi Manda

     
Les pièces de Jean Genet (1910 – 1986) présentent une poétique à portée sociale : son expérience de la condition pénitentiaire, de la prostitution, du racisme (contre les Noirs, les femmes, les colons). Ces créations artistiques sont « un peu politiques », d’après l’écrivain, « dans ce sens où elles abordent la politique obliquement. Ainsi, « aborder les situations sociales qui provoquent une politique » tel est la dynamique de son théâtre. Par la suite, c’est le théoricien de l’art et l’homme d’action dans un mouvement purement révolutionnaire qui nous communique ses découvertes au niveau artistique, humain, social et politique.

     Le Funambule, publié pour la première fois en 1958, nous fait découvrir l’artiste avec ses déchirements, son ascèse dans sa marche vers la perfection. « Quatre heures à Chatila », article écrit après les massacres de Chatila en 1982, laisse apparaître son nouveau langage, celui de l’engagement politique où la révolte, la passion, la mort et la régénération se rencontrent et s’associent.
      Dix ans avant 1968 et la révolution estudiantine en France, celle de Prague et d’autres mouvements libérateurs partout dans le monde, Jean Genet définit le rôle de l’artiste dans ses écrits : L’atelier de Giacometti, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré et Le Funambule. Il est fasciné par ces arts de l’espace, sculpture, peinture, funambulisme qui donnent forme à l’informe et tentent de visualiser l’image intérieure s’éloignant des faux-semblants, des manifestations visibles. Le funambule permet à l’écrivain de donner une réalité sensible à ce qui n’était qu’absence. Il arrive même à la transcendance, puisque sur le fil, l’artiste danse pour Dieu, qui n’est que la somme de toutes ses possibilités.
      Jean Genet, à l’aide de mots, élabore le statut d’artiste, androgyne, être parfait tantôt dominé, tantôt dominant « gibier et chasseur » à la fois. L’artiste travaille dans une solitude mortelle qui cache sa blessure secrète. Le funambule, au costume rouge et doré, au maquillage excessif, représente le Monstre, figure singulière du cirque, remontée des époques diluviennes. Le danseur sur la corde suit une étape initiatique dans la solitude exempté de toute prétention. Ce rite de passage lui permettra d’accéder à une contrée fabuleuse. Le funambule incarne pour Genet l’acteur parfait, une « surmarionette », qu’il voulait pour le spectacle explosif dont il rêvait.
      L’idée de l’artiste solitaire et maudit n’est pas nouvelle. Baudelaire, Rimbaud, Nerval l’ont exprimée. Ce qui est nouveau dans la création de Genet, c’est que le funambule se cache dans le déshérité, la clocharde, pour rendre plus extraordinaire sa métamorphose en artiste étincelant. Cette Figure représente toute l’humanité : dominants, dominés et exclus.
       Le spectacle que propose Zoi Manda se construit à des matérielles élémentaires et essentielles qui renforcent la dynamique du discours : la corporalité et le dessein – symbole. La ligne – corde, signe des oppositions traitées dans le texte, domine à la scénographie, grâce à la technologie (projection vidéo) qui contribue à la création d’un « dialogue » avec les corps des acteurs. La mise en scène partage le texte en deux comédiens, un homme (Lefteris Papakostas) et une femme (Vallia Papachristou) qui incarnent la personnalité de l’artiste en tant que idée ou idéologie. D’ailleurs, le décor (semé de figures géométriques) facilite l’expression corporelle qui souligne la trajectoire des instantanés. L’espace et la lumière « se transforment » continuellement pour tracer les lignes de démarcation d’un itinéraire qui jongle avec le réel et l’imaginaire, le vrai et le faux, le secret et le mensonge, la vie et la mort.

Nektarios-Georgios Konstantinidis


Théâtre Argo, « Small Argo full of Art », 15, rue Elefsinion, Metaxourghio, Athènes, tél. 0030 210 52 01 684

Σάββατο 28 Οκτωβρίου 2017

« 887 » de Robert Lepage

Robert Lepage est un homme du théâtre et du cinéma contemporain qui concentre en lui les fonctions d’animateur, de metteur en scène, de dramaturge et de comédien. L’on peut dire que Lepage se produit sur le plateau comme une machine spectaculaire dans le sens d’un créateur qui transforme le mot en image significative. En effet, l’artiste canadien « promulgue » ses propres lois de la scène, à commencer par la fonction de haute surveillance concernant le spectacle qui l’offre à son public. Robert Lepage s’avère un travailleur infatigable du théâtre qu’il connaît à fond ainsi qu’on a pu voir dans son dernier spectacle, au titre énigmatique « 887 », à Athènes. La scénographie grandiose se matérialise grâce à une maquette – installation qui donne au spectateur la possibilité de voir l’intérieur d’une maison. Toutefois, le décor concentre et combine les objets et les localités qui sont enrichis par les projections de vidéo. Ainsi, le langage du théâtre rencontre le langage filmique. Il est à noter que dans son solo multimédia performance, Lepage se présente comme un animateur qui s’engage à exécuter devant le public une partition particulièrement intéressante : Il se place dans une position d’un homme qui nous livre des détails de sa vie. De cette façon, l’artiste québécois pratique sur scène l’ « autofiction », selon ses propres mots. Par ailleurs, il exploite avec une extrême douceur les moments des expériences d’enfant tout en traversant les âges de sa vie jusqu’à présent. A l’aide de l’esthétique de la minuscule, Lepage se construit une ambiance faite de petites images censées présenter les macrostructures de son univers à lui. Les souvenirs de l’enfance, de l’adolescence, de l’âge adulte s’étalent généreusement comme des confessions sincères face au public. Le comédien part depuis une image minime et offre au public un grand spectacle dans lequel défilent des fastes inattendus, même si le discours est toujours attaché à l’esthétique de la parole simple et quotidienne. Ici, l’appui technologique y est pour quelque chose et surtout quand il faut que l’élément personnel rejoigne le cadre sociohistorique du pays de Lepage. Durant deux heures, la scène est occupée par un seul interlocuteur qui dévoile ses propres impressions, ses sentiments et ses souvenirs hantés par des moments de plaisir et des moments de détresse. En fin de compte, le monologue de Robert Lepage assure le passage de la réalité à la fiction imbue d’une autocritique pourvue d’éléments narcissistes. De même, l’artiste, dans un espace hors – scène, nous emmène à valoriser des moments de sa vie privée et sa décision de devenir comédien. Une confession de profundis ? Oui et non, cela dépend de point de vue de chacun.

Nektarios – Georgios Konstantinidis

Spectacle en français sous-titré en grec, Centre Culturel Onassis, 107 Sygrou Avenue, 24 – 27 Octobre 2017, 20 h 30


Πέμπτη 5 Οκτωβρίου 2017

Ça ira (1) Fin de Louis de Joël Pommerat

   
      
     La pièce de Joël Pommerat, Ça ira (1) Fin de Louis (2015), est écrite dans le but, pensons-nous, de présenter certains détails dans les préparatifs de la Révolution française. En effet, toute la substance intellectuelle est cueillie dans le « discours » dominant de cette pièce frôlant le politique. Les faits qui jalonnent les étapes historiques de la pièce sont apocalyptiques, l’on dirait, de l’esprit qui anime le passage de l’histoire à la fiction. A vrai dire, rien ne paraît mythologique ou fantasmatique, les faits sont là, sur la table d’un chirurgien intelligent et curieux à l’extrême, se prêtant de faire l’anatomie de tous les instantanés qui forgèrent la philosophie des droits de l’homme et du citoyen. La Révolution française est un fait assez lointain quant à son envergure de réalité ébranlante « ici et maintenant ». Pourtant, le génie de Pommerat, auteur et metteur en scène à la fois, « manipule » avec beaucoup d’attention le matériel sur lequel est bâtie cette nouvelle vision du monde proclamée par la Révolution. Aussi, le petit peuple, formé de gens de tous les jours et de tous les métiers, c’est-à-dire le Tiers Etat, est présenté dans la pièce sous ses traits de protagoniste de cette époque tourmentée et incertaine. La volonté du peuple, mal guidé ou bien guidé, ne cesse de produire de nouvelles circonstances qui accusent l’assimilation, en effet, de toutes les leçons procurées par le siècle des Lumières. Les consciences étaient prêtes à changer la réalité, de plus en plus offensive à l’égard de la petite gente, en réalité révolutionnaire. Le peuple concrétise les propos de la rhétorique intellectuelle en la reconnaissant dans son application à la vie quotidienne.

     Les grands jours décisifs dans l’Histoire de la France, les bases de la constitution et la réaction du pays contre la tyrannie des Versailles offrent la possibilité de « colorer » avec ardeur les dessous, c’est-à-dire les choses invisibles, qui fondent, après tout, l’apparat philosophique et idéologique des faits majeurs de la Révolution.  
     Joël Pommerat, et c’est le mérite d’un auteur – metteur en scène flexible, transforme le réel historique en réalité universelle. Sa procédure s’appuie semblablement sur la neutralisation des événements provenant de l’Histoire, au profit de l’ontologie. Les exigences de tout homme civilisé, à la conscience politique forgée, au sein de l’égalité et de la liberté, conduisent au besoin impérieux de réviser les conditions de coexistence. Est-ce qu’on peut vraiment de nos jours coexister avec son voisin et prendre en plus plaisir de cette cohabitation ?
     La pièce et la mise en scène de Pommerat avancent jusqu’aux profondeurs de la question posée. Cela concerne plus que jamais notre vie quotidienne dans le monde entier. La Révolution française s’avère, grâce à la mise en scène de Pommerat, le guide œcuménique hic et nunc. Le public athénien, hautement politisé et connaisseur de l’Histoire de l’époque de Louis XVI, admirateur de l’esprit français, remplit complètement un grand amphithéâtre et applaudit avec enthousiasme et émotion la troupe parisienne. D’ailleurs, ces excellents comédiens se produisirent sur scène de manière à donner l’impression qu’ils oscillent entra la réalité de l’ambiance grecque et l’appareil fictionnel de la « mimésis d’une action ».
     L’on dirait, enfin, que l’auteur se partage entre deux options : faire vrai ou être vrai ? Comme metteur en scène, Joël Pommerat essaye d’établir l’équilibre entre les deux. Le climat théâtral de sa pièce est conduit par le souci de l’esthétique qui lui laisse la liberté de dépasser l’élément moderne. De surcroît, la mise en scène permet de valoriser l’élément méta – moderne produit à propos. Ainsi, les tableaux vivants sur la scène représentent sciemment les critères qui bâtissent les situations théâtrales en relation étroite avec l’appareil mimétique des Assemblés du peuple français : les comédiens s’entremêlent aux spectateurs. En outre, le gros fatras, produit des effets sonores ainsi que la fumée des cigarettes sur le plateau et un peu partout dans la salle renforcent à l’aide de l’éclairage la théâtralité incontestable du spectacle.     

Nektarios – Georgios Konstantinidis


Spectacle en français sous-titré en grec, Centre Culturel Onassis, 107 Sygrou Avenue, 4 – 8 Octobre 2017, 19 h 30 

Τετάρτη 13 Σεπτεμβρίου 2017

Cyclope d’Euripide par le Théâtre « Neos Kosmos » – Festival d’Athènes et Epidaure 2017

       
Cyclope d’Euripide est l’unique drame satyrique conservé et trouvé à peu près intact selon les philologues. Il s’agit d’une pièce d’inspiration comique qui développe l’instantané de l’aveuglement du géant par Ulysse et ses compagnons lors de leur périple aventureux. Ulysse arrive affamé et malmené par la mer agitée et ennemie à son égard. Il se trouve à Aetna, le pays de Cyclope, et plus précisément, près de la caverne – habitation de Polyphème. Ce dernier s’apprête à avaler de la viande humaine, c’est-à-dire Ulysse et ses compagnons qui lui semblent comme une gourmandise inattendue. Pour se protéger, le général grec invente l’aveuglement de Cyclope au moyen d’une grosse branche d’arbre qu’il rend pointu.

       Le drame satyrique n’est ni tragique ni comique, chose qui ne donne pas beaucoup de liberté au metteur en scène. Au contraire, on a besoin d’un minimum d’équilibre pour garder intacte l’orientation de la pièce, selon les principes aristotéliciens.
       La représentation du Théâtre « Neos Kosmos » a su mener avec justesse, l’on pourrait dire, l’action du drame satyrique. La mise en scène de Pantelis Dentakis a mis l’accent sur le côté spectaculaire de la pièce et a évité ainsi les difficultés concernant l’esthétique du jeu. L’esthétique baigne ente le burlesque et le grotesque qui arrive à un moment à la limite du macabre. La présence des phallus et les paroles grossières renvoient au discours d’Aristophane. L’intrusion de la musique grecque populaire souligne, d’une façon discrète, un commentaire sur l’immigration. D’ailleurs, les costumes de Georgia Bourda portent à la lumière du jour les structures conceptuelles du drame satyrique et sauvegardent le principe d’équilibre qui concerne le genre précis. Dentakis renforce l’esprit magique de contes de fée et crée un univers des présences oniriques, propre à un récit destiné aux enfants.
       Il faut aussi souligner que le texte d’Euripide se complète par des extraits d’Odyssée d’Homère et des Idylles de Théocrite, traduits par Pantelis Boukalas. En somme, un spectacle qui propose des solutions concernant l’esthétique de la représentation du drame satyrique.       

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Spectacle vu le 7 septembre au Théâtre Hérode atticus (en grec, sous-titré en anglais)


Παρασκευή 1 Σεπτεμβρίου 2017

Perses d’Eschyle par l’Organisation Théâtrale de Chypre – Festival d’Athènes 2017

     
       Les Perses d’Eschyle est une tragédie historique, basée sur la bataille de Salamine et écrite quatre ans après la victoire des grecs. Pourtant, le poète tragique place l’action à Soussa, la capitale des Perses. Là, ce n’est pas le roi Xerxès qu’on attend mais c’est plutôt le fils Xerxès qu’on se prépare à recevoir : Atossa, la reine-mère attend son fils dans une grande intensité causée par le pressentiment de la défaite. Eschyle, dans cette tragédie, met surtout l’accent sur la sentimentalité et l’émotion jaillies de par la mise en place de la relation archétypique entre la mère et le fils.

     La représentation de la tragédie dans le théâtre ouvert Hérode atticus, aux pieds de l’Acropole, fut menée par Aris Biniaris, metteur en scène et musicien à la fois. Notons que Biniaris emploie ses deux fonctions dans le but de présenter au public un spectacle tout à fait particulier. En effet, il s’appuie sur la prosodie de la traduction de Panaghiotis Moullas qui garde la rime et souligne de cette façon la poéticité du texte. Le spectacle réunit harmonieusement les sons de la voix des comédiens qui débitent leurs paroles ainsi que les sons de deux tambours. Les instruments musicaux donnent le ton avec  efficacité au mouvement du corps des comédiens. Il faut souligner que cette jonction crée l’impression d’un vertige corporel qui fait référence aux danses orientales de Derviches. D’ailleurs, au moment crucial de l’appel du roi mort Darius, aussi bien Atossa que le Chœur se laisse aller à un rituel aux mouvements débridés, pathétiques et cruels dans sa conception. Aris Biniaris a su marier ensemble la musique et la parole et a obtenu un résultat extrêmement riche de connotations rythmiques et spectaculaires. Il a donc pu tirer un grand profit concernant l’esthétique du spectacle étant donné qu’il a transformé convenablement le mot en image. Par exemple, l’arrivée et l’exposition de Xerxès sur scène offre généreusement l’image intacte de la parole débitée par le Messager. C’est l’apogée de la notion du tragique et de la parole muée en image : Xerxès arrive humilié et dans la plus grande déchéance de ses habits de roi comme pour justifier les descriptions du Messager.
  Karyofyllia Karambeti n’a pas pu trouver le fil conducteur d’Atossa et s’est éloigné considérablement de l’archétype de la mère. La comédienne n’a pas pu garder l’ampleur du personnage qui se rétrécie d’une manière caractéristique. Charis Charalampous répond grosso modo aux exigences du rôle de Messager. De même, Nikos Psarras (Darius) et Antonis Myriagkos (Xerxès) défendent leur contribution avec aisance.
     L’Organisme Théâtral de Chypre, à travers cette tragédie d’Eschyle, a fait une production de haute qualité.

Nektarios-Georgios Konstantinidis


Spectacle vu le 30 août au Théâtre Hérode atticus (en grec, sous-titré en anglais) 

Πέμπτη 20 Ιουλίου 2017

Ennemis de sang d’Arkas, traduit du grec moderne par Dimitris Filias, Athènes, Editions « Grigoris », 2017, 98 pages.

Critique/Livre



Ennemis de sang d’Arkas, traduit du grec moderne par Dimitris Filias, Athènes, Editions « Grigoris », 2017, 98 pages.

          Le nom et la renommée d’Arkas sont plutôt attachés au grand succès de la bande dessinée que l’écrivain et cartooniste grec manie de façon tout à fait particulière : Arkas, à travers ses dessins, repend de la spiritualité qui vivifie ses « personnages » leur munissant une dose de théâtralité considérable. Après tout, la « mission » de la bande dessinée c’est de combiner l’ « utile à l’agréable », c’est-à-dire, l’information « manipulée » en relation avec un message concret. Arkas met aussi l’accent sur le paradoxe qui, à lui seul, trahit un besoin impérieux de porter à la lumière du jour les vices de nos sociétés occidentales, hypocrites et imbues d’implicites absurdes.
        Dans la première pièce de théâtre d’Arkas, Ennemis de sang, écrite en 2007, les trois personnages appartiennent à « cet autre monde » (dirait Rabelais) qu’est l’homme comme entité entière : Le corps humain, composé d’organes destinés à consommer de l’énergie, suivant la fonction de chacun d’eux, représente un vaste territoire d’affinités. Celles-ci conduisent à la profondeur de l’Etre où l’on cherche à voir les amis de sang.
        Selon l’écrivain et dessinateur, la bonne entente de tous les organes du corps assure l’harmonie et le bon fonctionnement de l’organisme. Arkas, par le biais de sa thématique, en apparence singulière, nous montre les grandes similitudes entre la matière charnelle et la matière spirituelle et surtout les ressemblances entre l’organisme humain et la société des hommes. Pour Arkas, la société civilisée manque de cohérence au niveau de la compréhension. Diffusé comme faisant partie de la norme, le rapprochement de différents « services » obéit à un pouvoir central, qui ne fait qu’un effort faible de collaborer au profit de tous.
     La pièce d’Arkas, Ennemis de sang, reflète l’ambiance conflictuelle entre l’ « Intestin grêle », le « Gros intestin » et le « Rein droit », qui constituent les personnages du créateur grec. L’esprit de dispute, qui règne dans un corps humain, reflète surtout la gravité du problème de la mauvaise entente qui conduit à la catastrophe finale de la « communauté », ne serait-ce qu’au niveau de la coexistence de tous les organes de l’organisme humain. D’ailleurs, à partir de ce microcosme, l’auteur vise à indiquer le malaise dans les macro-structures de l’humanité.
       La traduction du texte grec en français par Dimitris Filias (Professeur de traduction littéraire de l’Université Ionienne) est une procédure extrêmement difficile, vu le langage d’Arkas passant du réalisme langagier aux tournures excessives. Disons que l’écrivain-dessinateur procède en parodiant le mot et en le forçant de dépasser son statut informationnel et sentimental. Dimitris Filias, traducteur expert dans l’expression bilingue, arrive à traduire, avec une exactitude exquise, aussi bien l’apparat du paradoxal que les compromis du mot « masqué » en tant que fondement de la parodie.
       De plus, le problème est posé par toute tentative de traduction depuis le texte d’origine au texte d’une langue n’ayant aucun rapport avec la langue maternelle. Le mérite de la traduction de Dimitris Filias, c’est qu’il a su mener à un résultat dont les reflets d’efficacité sont aisément présentés à travers un ensemble signifiant avançant l’esthétique d’un baroque « réalistique » et humoriste.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Τρίτη 4 Ιουλίου 2017

« La fille qui tombe, tombe, tombe », spectacle inspiré de récits de Dino Buzzati, mise en scène Lilo Baur

        

          Le spectacle de Lilo Baur, présenté au Théâtre « Rex », dans le cadre du Festival d’Athènes, est basé sur de petites histoires de l’écrivain italien Dino Buzzati. L’élaboration dramaturgique de Lilo Baur et de Kostas Filippoglou focalise sur l’idée d’une chute. Mis à part le côté léger et presque amusant, annoncé par le titre, « La fille qui tombe, tombe, tombe », le sujet est plutôt sérieux et ouvert à de multiples interprétations concernant la thématique. En effet, la chute du dernier étage d’un gratte-ciel ne pourrait être un conte de fées comme « Alice au pays des merveilles ». D’ailleurs, la chute de la fille s’inscrit dans le présent continu qui est un clin d’œil de la part de l’écrivain italien mais surtout de la part de la metteure en scène. Lilo Baur manipule avec exactitude et justesse incomparable son matériel en créant ainsi une esthétique qui renouvelle la tradition du théâtre mimétique. Le présent continu du titre se réfère à un véritable parcours dont le départ c’est la chute vertigineuse de la fille. Le trajet semble toucher l’infini et n’offre aucun moment de repos. Au contraire, l’être qui tombe s’élance dans une véritable aventure de l’expérience du corps humain, de l’esprit qui l’habite et de la morale en tant que grandeur philosophique.
       La représentation fut une révélation pour les spectateurs grecs qui ont apprécié le jeu de l’éclairage dans un espace presque vide dans lequel des silhouettes minuscules, l’on dirait, apparaissent pour dialoguer avec la fille durant sa chute. Les présences en question couvrent une certaine gamme d’occupations et de préoccupations humaines dans un quotidien dont on n’a pas de véritables informations. Cependant, la fille qui tombe rencontre ces silhouettes et assure une communication avec elles allant très loin dans un scepticisme salutaire, pareil à une sorte de catharsis. Il faut souligner le fait de l’absence de tout décor réaliste ou naturaliste. La metteure en scène préfère de petites métaphores au détriment de grandes métonymies. Cela veut dire que l’acteur porte dans son corps la transformation du caractère, quand il le faut, et utilise sa corporalité afin de créer une esthétique du baroque moderne, l’on pourrait dire. En d’autres mots, les gestes corporelles des comédiens contribuent à l’élaboration d’une esthétique qui d’abord nous surprend par sa mise en miettes d’instantanés appropriés. Après tout, les compositions séparées mènent par la suite au résultat souhaité, c’est-à-dire à la création des microcosmes entiers. Enfin, on a pu voir un spectacle qui a décliné la tentation de la vidéo projection pour retrouver les traces de la corporalité en harmonie avec la parole.  


Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre « Rex », 48, rue Panepistimiou, Athènes, 4 – 5 – 6 juillet 2017

Tél. 0030 210 33 05 074

Σάββατο 27 Μαΐου 2017

Kafka's Freaks, solo performance inspirée par l’œuvre de Frantz Kafka

       La philosophie de l’absurde et du désespoir de Frantz Kafka (1883 – 1924), auteur tchèque d’expression allemand et figure emblématique de la littérature, trouve sa terre d’élection dans la sensibilité contemporaine des gens du théâtre. Kafka enseigne par son exemple, usant du roman comme allégorie, que le récit peut devenir le lieu où élaborer une métaphysique concrète. L’œuvre de Kafka présente à l’état pur le paradoxe de la pensée existentialiste. Beaucoup des représentations dans le monde entier sont inspirées par l’univers kafkaïen. Diverses adaptations de romans de l’auteur tchèque ont alimenté des spectacles très intéressants. C’est le cas de la performance du comédien et metteur en scène Nicolas Vayionnakis qui propose une performance structurée sur les récits Rapport pour une académie (1917), Un champion de jeûne (1922) et La Métamorphose (1915).
        Les trois récits de Kafka deviennent une sorte de prétexte de montrer sur scène le personnage cloué dans une cage – prison. Vayionnakis s’expose dans de multiples expressions corporelles (grimaces, gestes, extases psychiques) qui offrent un véritable éventail toujours mouvant, créateur d’un tourbillon paradoxal et énigmatique. La scène du théâtre où se produit le sujet monologuant, est une « scène pauvre », dépouillée de tout faste. Il n’y a que l’éclairage d’Apostolos Tsatsakos qui met en valeur l’antinomie entre l’objet « cage » et le sujet « corps humain en révolte ». Il est vrai que la cage rétrécie énormément la possibilité d’être en liberté alors que l’homme engloutie et piégé, fou de rage, se manifeste à travers des mouvements presque géométriques rejetant tout esprit d’harmonie. Nicolas Vayionnakis, maquillé en blanc et vêtu en costume noir, incarne les tréfonds de tous les personnages kafkaïens assemblés sous le toit d’une esthétique uniforme allant du moderne au méta-moderne.  Le tragique de la condition humaine se présente de façon grotesque, macabre et attaquante à travers le jeu des yeux du comédien en créant ainsi une atmosphère de peur et de panique censés se transposer dans l’espace du public. Nicolas Vayionnakis offre avec générosité les modalisations de son art d’interprète et montre de cette façon la richesse de son talent.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Fournos, 168 rue Mavromichali, Athènes, Tél. 0030 210 64 60 748

Σάββατο 20 Μαΐου 2017

Moisson de Dimitris Dimitriadis au Théâtre National d’Athènes

     La pièce de Dimitris Dimitriadis, écrite en 2011 et intitulée Moisson, sans article défini ou indéfini, focalise sur les relations interpersonnelles, ainsi que sur la manière de communiquer l’un avec l’autre. Notons que la situation dans laquelle nous vivons attachés et étroitement liés avec des objets, comme le portable par exemple, nous oblige à suivre une « philosophie » de communication indirecte, presque jamais directe. Mais, même dans des circonstances ennemies de toute communication possible, les nouvelles arrivent et souvent pour souligner une catastrophe. Le dicton, « pas de nouvelles, bonnes nouvelles », semble exilé au pays de l’espoir. Dans ce pays, le trou obscur de la mémoire invente des façons de faire passer inaperçues la déception et la misère, toute intérieures de celui qui aime comme de celui qui hait.
      L’auteur grec, à travers cinq personnages « présents » dans le lieu de l’action et deux autres « absents », qui se manifestent de par le portable, avance très loin dans le comportement de ses héros incarnant des unités symboliques. En outre, l’objet de la communication, durant l’action dans la pièce de Dimitriadis, ne fait qu’exprimer sa présence d’objet « extatique », dans le sens qu’il dépasse les limites de ses possibilités d’être en même temps un sujet. Identifié, l’on pourrait dire, à la personne hors-scène qui fait irruption dans la vie des cinq vacanciers, le téléphone portable « détruit » le lieu de sa provenance. Ensuite, il « détruit » l’harmonie promise de cet autre endroit, l’hôtel luxueux à Acapulco, qui « garantit » la paix et le bien être des vacances. Pourtant, il y a un vacuum qui crée une situation interne dans chacun des personnages se sentant, peut-être, porteurs de ce vide incurable, le vide d’une existence en péril.
      La mise en scène de Dimitris Tarloou met l’accent sur la coexistence de l’harmonie spatiale en conflit avec l’espace intérieur des personnages de l’action. Nous nous trouvons dans un hôtel de luxe qui accueille des vacanciers apparemment insouciants et loin des besognes de tous les jours. La couleur verte domine dans le décor d’Hélène Manolopoulou, qui a fait aussi les costumes. Dimitris Tarloou ne fait qu’à suivre, à vrai dire, le discours de Dimitris Dimitriadis ainsi que les didascalies du texte. Il est à noter que la mise en scène focalise sur la peur de la menace, une menace toute inconnue, représentée sur scène par des figures perpétuellement mouvantes en guise des corps fantasmatiques qui ajoute sur le suspense de l’attente.  Les comédiens, Anna Mascha (Zouzou), Périclès Moustakis (Roumi), Nicos Psarras (Assour), Alexia Kaltsiki (Likra) et Maro Papadopoulou (Bona), incarnent une collectivité caractéristique dont le souci est de passer quelques jours dans le bien être de l’insouciance. Chacun d’eux se manifeste dans le rôle, qui lui est confié, avec beaucoup d’ardeur tout en défendant sa propre personnalité d’acteur.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre National, Bâtiment Tsiller – Salle « Nicos Courcoulos », rue Aghiou Konstantinou 22 – 24, Athènes, Tél. 0030 – 210 52 88 170

Κυριακή 23 Απριλίου 2017

Le Bocal de Tzeni Dagla, mise en scène d’Aspa Tobouli, Théâtre « Fournos »

      Le Bocal est un monologue dramatique à deux « extensions » suivant la qualification de sa structure scénique par l’auteur même, Tzeni Dagla. En effet, madame Dagla écrit un texte destiné pour la scène et y traite le problème de la solitude absolue d’une femme indépendante et tout à fait émancipée, sauf dans ce qu’on pourrait appeler le monde intérieur ! Cet espace interne est, à vrai dire, habité par diverses « populations » psychologiques, d’un côté et de l’autre côté par des silhouettes vraies ou imaginaires, qui retentissent comme des espèces d’échos venues de rêves renversés et souvent, comme les voix de nos cauchemars. Après tout, le monologue de la dramaturge grecque cueille attentivement le pathos personnel et le rend œcuménique.
       On s’y reconnaît en tant que spectateur qui attend sa récompense à travers les lignes du texte énoncé et « joué » par l’excellente comédienne Mania Papadimitriou, qui interprète le corpus central de la pièce. En outre, la mise en scène d’Aspa Tobouli n’exagère pas en ce qui concerne l’utilisation d’images en dehors de ce que le personnage monologuant raconte : juste l’éclairage bien efficace d’Apostolos Tsatsakos et les vêtements de Christina Papoulia y compris la perruque. Mania Papadimitriou se déplace dans l’espace du théâtre et se présente très expressive conformément les changements de ton du personnage de Lucie. La musique est choisie par Dimitris Iatropoulos. Notons que le jeune comédien Efthymis Christou incarne avec beaucoup de justesse les émigrés, Ahmed et Soufi en les incorporant à l’ensemble du monologue. Aussi bien la comédienne Mania Papadimitriou que le comédien Efthymis Christou jouent avec beaucoup de vivacité et soulignent ainsi les trouvailles caractéristiques de la mise en scène d’Aspa Tobouli. D’ailleurs, les deux acteurs mettent en valeur le symbolisme du bocal et de ce que signifient l’objet et son contenu, c’est-à-dire l’eau et le poisson rouge. Il est à noter que le poisson porte le prénom Lucie comme le personnage de la pièce. En fait, le monologue et sa mise en scène indiquent pleinement la mise en abyme de la torture tout entière qui unit l’espace de chacun à l’espace de tous. En fin de compte, le poisson rouge nage dans son habitation aquatique tandis que dans la mer méditerranéenne « nagent » et s’y perdent à jamais les Ahmed et les Soufi… 

Nektarios-Georgios Konstantinidis


Théâtre « Fournos », 168 rue Mavromichali, Athènes, tél. 00 30 210 64 60 748

Πέμπτη 13 Απριλίου 2017

Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac au Théâtre Technis « Karolos Koun » (rue Frynichou)

     L’originalité de Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac (écrit en 1928) tient essentiellement à trois facteurs principaux : son protagoniste si humain et si monstrueux à la fois – enfant géant que son intelligence extrême pousse à la destruction et à l’autodestruction ; la façon dont le dramaturge reprend les codes et des valeurs du drame bourgeois pour les subvertir ; un alliage stupéfiant de rire et d’effroi, de comique et de tragique. Cette œuvre est la plus achevée dans le domaine du surréalisme théâtral, introduisant la dimension de la cruauté au sein d’une recherche de l’absurde.
     Le fameux compositeur Stamatis Kraounakis, qui incarne aussi le personnage de Victor, propose une version musicale de la pièce dont le livret renforce la théâtralité et la côté spectaculaire dérivant du texte. La mise en scène de Marianna Kalbari s’aligne à l’esthétique du burlesque qui va de pair à un grotesque effrayant, à la limite du macabre. Tout le spectacle est une fête grandiloquente, pleine de chansons qui soulignent l’amertume de l’innocence perdue. Les enfants ne peuvent pas changer le monde. Le sentiment du pessimisme hante le spectateur sans alourdir quand même le climat général. D’ailleurs, le décor de Konstantinos Zamanis, qui a fait aussi les costumes, est un grand cirque dans lequel les créatures de Vitrac se baladent à la recherche d’une identité dans un monde hostile à « l’imagination au pouvoir ». Dans ce cadre, les chorographies de Mariza Tsigka et la lumière de Stella Kaltsou rappelle chaque instant le caractère symbolique qui soutient la vision du monde de l’écrivain surréaliste. Les comédiens interprètent leurs rôles d’une façon démesurée qui met en relief la raillerie et le rire caustique de la satire ; Charis Fléouras (Lili), Fotini Baxevani (Esther), Fenia Papadodima (Emilie/Ida), Christos Gerontidis (Charles), Maria Tzani (Thérèse), Gerasimos Genatas (Antoine), Konstantinos Efstratiou (Général), Vassilina Katerina, Marios Kritikopoulos, Vassilis Papadimitriou et Kostas Koutroulis. Sur la scène, les musiciens Vassilis Drouboyiannis et Vayios Prapas.

Nektarios – Georgios Konstantinidis

Τετάρτη 12 Απριλίου 2017

Antigone de Jean Anouilh, mise en scène d’Hélène Efthymiou (spectacle en grec)

     
    Jean Anouilh est un auteur dramatique qui se distingue par la diversité des sujets qu’il emploie ainsi que de la forme des situations sur lesquelles il s’appuie, pour montrer le lien entre la vie et le fait « théâtre » qui la dépasse. En effet, son microcosme théâtral décrit la partie métonymique des choses qui tissent les occupations et les préoccupations quotidiennes. Ainsi, la métaphore acquiert sa place entière et devient ultra-fonctionnelle à partir du moment où elle traduit et interprète le passage d’une réalité historique à une réalité fantasmatique, fictionnelle.

      Dans sa pièce Antigone, Anouilh garde intacte la fable archétypale de la tragédie de Sophocle tout en lui insufflant l’air de l’époque aux alentours de 1944, date de la première représentation de la pièce devant le public français. Toutefois, l’intertexte d’Anouilh se construit petit à petit, au fur et à mesure que l’entre-deux-guerres fournit des exemples de tortures et de luttes humaines qui poussent les intellectuels, écrivains et artistes, à la protestation pour dénoncer le totalitarisme et tout ce qu’engendre de maléfique à savoir l’esprit nazi et le fascisme. Aussi, l’entre-deux-guerres s’enrichit-il de potentiel en ce qui concerne la révolte et la résistance contre l’horreur et les atrocités de la Seconde Guerre Mondiale. De toute façon, Antigone antique est déjà synonyme de résistance. Elle se place du côté de ceux qui aspirent à exercer leur devoir de citoyen face à ceux qui exercent le pouvoir. Antigone d’Anouilh dénonce l’élément conflictuel au profit d’une cité pacifique et favorable envers les citoyens consciencieux réclamant leur droit à la désobéissance à l’égard d’un système politique considéré comme injuste.
      Notons que le nouvel élément qu’apporte l’intertexte d’Antigone, d’après Jean Anouilh, se base sur le renouvellement du « contrat » entre les vieux systèmes de valeurs mis en cause. En outre, on remet en vigueur les vieux codes coutumieux dans le but d’y reconnaître la valeur universelle de tel ou tel élément qui codifie l’histoire dans l’ « ici et maintenant ». De cette manière, l’actualisation d’Antigone de Sophocle s’avère un acte de grande importance au niveau de la symbolisation, comme procédure qui assure la codification de l’archétype et sa portée dans l’actualité. Anouilh respecte la matière première qui lui est offerte par le texte du poète tragique grec. Comme son précédant, il focalise sur l’ « agon » de logos, donc sur la lutte au niveau de l’argumentation formulée dans la perspective d’exprimer une opinion. C’est ainsi qu’Anouilh formule le discours de la bravoure et du sentiment face au discours du devoir et de la raison. Sous cette optique, le conflit paraît inévitable si l’on y ajoute l’intransigeance des uns et des autres. A partir de là, le discours du tragique, renouvelé par Anouilh, remet en situation l’homme en train de se mesurer avec ses propres ressources foncières de l’ « égo » coexistentiel.
       Il est à souligner que la traduction grecque de Stratis Paschalis se met au service de l’auteur français dans une « rencontre » des plus harmonieuses au niveau de la production de signification. En ce qui concerne la thématique surtout, le traducteur grec conduit son texte à la découverte d’un univers tout nouveau, attaché pourtant au climat conflictuel qui a fait naître, d’abord la « mythologie » d’Antigone à travers Sophocle, puis celle d’Anouilh. Antigone d’Anouilh prend ses distances par rapport à l’antiquité, juste pour mettre à la lumière du jour les antinomies de tout conflit majeur, élaboré dans un centre, c’est-à-dire dans un huis clos caractéristique pour emmener au plus profond et au plus large du discours de la guerre. Stratis Paschalis traduit en interprète convaincu l’intertexte d’Anouilh, tout en le traitant comme une occasion de toucher à des problèmes de l’actualité crue et cruelle. L’on dirait, d’ailleurs, que la traduction de Paschalis en constitue un nouvel intertexte qui commente la dialectique de l’allusion et des mots couverts jusqu’à ce qu’éclate ce quelque chose depuis longtemps attendu avec aversion.
       Antigone d’Anouilh est représentée dans le cadre du Festival d’Athènes, au Théâtre « Rex », sous la direction d’Hélène Efthymiou, dans une mise en scène particulièrement choquante, vue l’ambiance maladive dans laquelle plonge l’histoire de la fille d’Œdipe. C’est plutôt cet élément qui constitue le détail significatif du discours conflictuel, demi « innocent » et/ou inoffensif et demi nuisible et mortel. En effet, la fable d’Antigone d’Anouilh se développe dans une maison de retraite, un asile ou même un endroit dans un hôpital d’invalides, parfaitement dessiné et mis sur pied par la scénographie de Zoé Molyvda Fameli. Les objets qui indiquent la signifiance de la localité sont les ventilateurs, utilisés comme objet – extase, manipulés dans le but de renforcer l’air maladif dans son mouvement perpétuellement clos. Les « habitants » de cet espace semblent irrévocablement cloués et immobiles.
       Dans le rôle d’Antigone, Vassiliki Troufacou donne plutôt l’impression de raconter l’itinéraire du personnage et de la personnalité d’Antigone, sans approfondir vraiment aux profondeurs de l’héroïne tragique. Par contre, Stelios Maïnas, en tant que Créon, conduit le spectacle entier à d’autres horizons beaucoup plus solides et sensibles, pour ce qui est les fondements de l’archétype du pouvoir vilipendé par les circonstances dues à l’impotence. 
       Le Chœur, incarné par l’acteur Phédon Kastris, exprime le fonctionnement du « masque » qui met en miettes le personnage référé. Aussi, la Nourrice d’Aneza Papadopoulou, crée-t-elle une présence faite de sympathie et d’acceptation. En outre, l’Ismène de Jeanne Mavréa et l’Hémon de Georges Frintzilas jouent entre la mesure et la démesure dans le jeu de l’acteur. De même, les gardes de Nicos Dalas et d’Erricos Litsis construisent une paire dynamique au niveau de leur participation artistique qui ne passe pas inaperçu. D’ailleurs, Erricos Miliaris, comme le Page de Créon, malgré le peu de paroles, qui lui sont fournies, souligne sa présence de façon particulière ainsi que Marie Liami, qui incarne le personnage muet d’Eurydice traversant majestueusement l’espace dans sa marche vers le suicide.
       Il est à noter que la pièce d’Anouilh se termine sur les paroles de l’écrivain montrant la mise en place des gardes, une fois que la fable prend fin. Le Chœur dit : « Il ne reste plus que les gardes. Eux, tout ca, cela leur est égal ; c’est pas leurs oignons. Ils continuent à jouer aux  cartes… ». Cependant, la mise en scène passe outre les indications de l’auteur, comme il aurait fallu faire, d’après nous, et ne saisit pas l’occasion de montrer la suite peu flattante à travers l’indifférence des gardes face au sérieux de l’histoire : pour eux, le destin fait son travail. A Thèbes, on attend le retour de Sphinx et d’Œdipe comme si de rien n’était.

Festival d’Athènes 2016

Nektarios-Georgios Konstantinidis


Σάββατο 1 Απριλίου 2017

Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès, traduction Dimitris Dimitriadis, mise en scène Angela Brouskou, « Théâtre Technis – Karolos Koun », Athènes

     
      Roberto Zucco (1988) de Bernard-Marie Koltès est une pièce de théâtre à épisodes. Cela dit, le spectateur est sensé poursuivre le trajet du personnage central qui se réfère à un meurtrier, le jeune italien Roberto Zucco. Celui-ci commet des crimes accumulés dans un espace précis et suivant les circonstances particulières, depuis l’étranglement de sa mère jusqu’à l’assassinat d’un inspecteur de police et d’un jeune adolescent dans un parc.
       Dans cette pièce, comme dans la plupart des pièces de Koltès, l’espace joue un rôle de catalyte et donne l’impression de dialoguer avec les personnages qui y habitent. Après tout, Koltès relate dans sa pièce la vraie histoire du jeune meurtrier italien Roberto Succo dont les meurtres avaient bouleversé la société française vers la fin des années ’80. Koltès se sert de l’appareil mythique, qui évolue en légende, pour « enrichir » le personnage en lui fournissant des éléments pris dans la liturgie de Mithra, par exemple, son but étant celui de mettre sur pied le discours et la dialectique du héros. Roberto tue sans vouloir tuer. Cela arrive d’une façon toute naturelle : il passe, il écrase et c’est tout. Ceux qui sont voués à la mort ils meurent, les autres survivent pour « raconter » les faits. La réflexion du héros koltésien est simple et ne se complique que pour rendre moins cruelle la pulsion instinctive de l’assassin. En outre, l’auteur utilise certaines manières linguistiques pour soutenir le passage du texte à la représentation. Il semble que les épisodes s’élèvent en unités théâtrales qui poussent à l’extrême, l’on dirait, le spectacle à travers les rencontres caractéristiques de Zucco. Notons également que Koltès accoure à la litote de la métonymie tout en mettant en valeur particulière la métaphore : l’apparition, toute shakespearienne des deux gardiens, entreprend de créer le premier paradoxe que l’on rencontre dans le texte de Koltès : la façon « philosophique » et le cours du dialogue entre les deux gardiens renforcent, par exemple, l’implicite par rapport à l’explicite. Le « duo » des gardiens forme une sémiologie du regard attentif sur l’ensemble des signes qui forgent la personnalité d’un meurtrier. A travers les paroles du syllogisme des gardiens, Koltès se déclare du côté de ceux qui mettent en doute la phénoménologie supportée par la simple apparence. D’après cela, tout être dans le meilleur des mondes possibles est un meurtrier possible.
       La représentation de Roberto Zucco, au Théâtre « Karolos Koun », dans la mise en scène d’Angela Brouskou, s’appuie sur la théâtralisation d’un sujet grave qui s’offre à la mise en spectacle de tout ce qui concerne le personnage vu par l’écrivain. D’ailleurs, la mise en scène de madame Brouskou cherche à « aliéner » les traits des visages mouvants et, pour ce faire, elle se place, elle-même, sur la scène du jeu, une caméra à la main, fixée sur un chevalet, qu’elle mamie à sa façon. Son but est de créer peut-être un nouveau « masque » sur le masque du rôle et de créer aussi divers « miroirs » reflétant un regard, une bouche mi-ouverte, une grimace, au moment de son inscription sur le visage de l’acteur etc. Ainsi, le « discours » photo-graphique de la représentation laisse peu de place, pensons-nous, à l’incarnation des symbolismes d’un rôle. Aussi le visage de l’actrice Parthenopi Bouzouri qui interprète trois personnages de la pièce, la Mère, la Dame au parc et la Patronne du Petit Chicago, n’offre-t-il pas, la substance caractéristique, propre de chacun des rôles indiqués. Le visage de l’actrice demeure un masque unique, presque immobile dans ses nombreuses expressions, souvent moqueuses et, de toute façon, portées vers une sorte de distanciation brechtienne. La même remarque on peut faire pour l’acteur Stratos Tzortzoglou qui interprète trois rôles aussi, l’Inspecteur, le grand frère et le vieux monsieur au métro ainsi que l’actrice Georgianna Dalara qui interprète la Gamine. Les acteurs Antonis Tsiller et Andréas Antoniadis incarnent d’une façon exceptionnelle les deux gardiens.
       Il est à souligner que la représentation au Théâtre « Karolos Koun », sous la direction d’Angela Brouskou, unifie les produits de la mythologie, disons métaphysique, et la cruauté des actes commis par un meurtrier doux et gentil comme l’Ange de la mort. L’acteur Kostas Nikouli, qui interprète Roberto Zucco, concentre en lui les deux dimensions du personnage koltésien : un meurtrier au visage beau, chaste, charmant et en même temps porteur de l’instinct de destruction. Ce mélange de douceur et de cruauté tisse l’antinomie et la force de la pièce de Koltès qui peut désormais être interprété d’après le discours procuré par tout « ici et maintenant ». Une fois la diachronie assurée, la boîte des idées n’est jamais vidée.

Nektarios-Georgios Konstantinidis