Τρίτη 29 Οκτωβρίου 2019

La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, traduction en grec de Dimitra Kondylaki, mise en scène de Sophia Marathaki

Une parodie du théâtre de boulevard: dans un salon bourgeois, les Smith reçoivent les Martin, auxquels se joignent un moment la bonne et un pompier en visite. Cette « anti-pièce » (son sous-titre) écrite en 1950 apparaît aussi comme un manifeste où sont affirmés les grands principes dramaturgique de l’auteur. Ici, des discussions sans objet se transforment en dispute générale et  les protagonistes se battent à coup de mots:  ils ne parviennent à s’accorder ni sur le langage ni sur le sens que l’on peut attribuer aux événements de la réalité.
Eugène Ionesco  se moque de l’artifice des scènes d’exposition (les Smith et leur Bonne se présentent eux-mêmes au public), parodie la scène finale de reconnaissance  de certaines comédies classiques : les Martin, se rencontrant chez les Smith, ne se rendent compte au terme d’une longue conversation qu’ils sont mari et femme!, et au lieu d’un dénouement, il crée une fin cyclique: après un long noir, les Martin remplacent les Smith dans leur salon et prononcent les mêmes répliques que les Smith au début. Et cela transforme la nature de l’illusion et la conception même d’un personnage: impossible de croire à ces êtres, aussi interchangeables que leurs paroles.
Eugène Ionesco rend sensible, en le désarticulant,  la difficulté du langage à assumer sa fonction de communication,  Le dialogue, lieu d’une permanente ambigüité, véhicule  alors le non-sens et progresse à coups de méprises.  Et le célèbre auteur français  tourne en dérision principe aristotélicien de non-contradiction  avec associations de mots, phrases et crée des  scènes incompatibles  et situées à tous les niveaux rhétoriques du texte;  ainsi le dialogue n’a plus rien à voir avec les didascalies…
La pièce contient en germe tous les thèmes de l’œuvre à venir : vision pessimiste du couple, réflexion amère sur la vacuité des relations humaines, non-fiabilité du langage qui isole et qui tue.  Eugène Ionesco met en scène, avec les Martin, un homme et une femme que la vie commune a rendu étrangers l’un à l’autre et il médite sur ce narcissisme indépassable qui enferme l’être dans sa solitude.
 Sophia Marathaki renforce la parodie et le burlesque pour aboutir à la fin à un délire presque cathartique. Tous les personnages expirent sur scène dans un rituel comique et sensuel à la fois. Il y a dans sa mise en scène un méta-texte commentant la genèse de l’œuvre du dramaturge et soulignant aussi tout  le paradoxe du langage. Un long tapis rose et des toiles représentant un ciel nuageux et les costumes signés Konstantinos Zamanis créent  un univers propice à l’absurde. Et la musique de Vassilis Tzavaras comme les éclairages de Sakis Birbilis, un espace imaginaire entre rêve et cauchemar. Les comédiens défendent avec ardeur cette lecture de la pièce avec une remarquable gestualité  et le spectacle garde toujours un très bon rythme…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Technis, 14 rue Frynichou, Athènes. T. : 0030 210 32 22 464

Κυριακή 27 Οκτωβρίου 2019

Clôture de l’amour de Pascal Rambert, traduction en grec de Nikolitsa Aggelakopoulou, mise en scène d’Andreas Kannelopoulos


L’être humain connaît une profonde crise d’identité, à la recherche d’une introuvable issue et chacun essaie de rebâtir son lien à l’autre, malgré la solitude. Plus qu’un thème, l’altérité est un principe constitutif de tout échange et donc du théâtre contemporain et les dramaturges français  traitent souvent de  la difficulté de l’être humain à donner du sens à un monde privé de valeurs stables.
Cette pièce créée au festival d’Avignon 2011 a ses origines  dans le théâtre de Sénèque avec des tirades-fleuves et suit la tradition du théâtre poétique français. Deux longs monologues au langage érotico-métaphysique rappellent parfois le dialogue du Dealer avec Le Client dans Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès.
Pascal Rambert met en scène une rencontre entre un homme et une femme, Stan et Audrey, dans une grande salle (un tribunal imaginaire ?). Lui  réclame le divorce et expose en détails et avec une forte émotion ses arguments renvoyant à un «procès juridique». Elle, dévoile qu’il ne s’agit pas d’une relation mutuellement définie de la même manière et défend certains principes,  révélant un état sentimental et intellectuel, synonyme de l’existence même.
Ainsi, Clôture de l’amour est-elle ancrée dans les tréfonds de l’être humain. Mais le conflit entre  Stan et Audrey est tel qu’il aboutira à la fin de leur couple. En d’autres termes, il y a entre l’homme et la femme, une incompréhension, un éloignement. Pascal Rambert tisse la fable de son histoire en partant du personnel pour arriver à l’universel. … Les personnages sont séparés par un océan de contradictions qui paraissent insurmontables et qu’ils se proposent de résoudre. Il s’agit d’une guerre et on s’aperçoit que la dynamique des deux sexes puise sa source dans l’esprit de révolte de l’un contre l’autre.
Clôture de l’amour parle de l’implication de l’être et du paraître dans l’univers de l’autre conscience et il est question plutôt de retrouver la part de soi dans la part de l’autre. Il s’agit d’un déchirement intérieur du couple. Et, en fin de compte, qui sera le vainqueur et le vaincu ? Qui gagnera et qui perdra ? Seule la vie de chacun pourra y répondre. Pascal Rambert n’apporte pas des réponse. Dans un fleuve ininterrompu de mots, dans la brutalité d’un verbe omniprésent et les divagations des amants, se déroule un combat impitoyable. Déclenché comme chez Joël Pommerat, par un manque d’amour qui dresse un mur entre eux. Avec, en lointain écho, les amours des personnages d’Anton Tchekhov qui nous invite à continuer notre lutte pour le meilleur des mondes possibles…
Andreas Kannelopoulos crée un spectacle où le rythme joue un rôle primordial. Dans une salle de danse sans accessoires, Moa Bones, le musicien, debout, guitare à la main, puis au piano, et les comédiens Thomas Kazassis (Stan) et Fenia Schina (Audrey) interprètent le texte avec une gestuelle qui renforce la passion et l’esprit polémique de la parole: le metteur en scène encourage les cris et parfois l’intensité de la voix, sans éliminer le caractère poétique du langage amoureux. Et il a enrichi l’action avec des trouvailles intéressantes comme ce duel avec des rampes fluo. La scène devient ici un vrai ring où masculin et  féminin s’épuisent en un jeu exterminateur. On ne peut plus discerner le dominant, du dominé, ni le faux, du vrai, ni le juste, de l’injuste… L’amour ne meurt jamais de mort naturelle, nous dit Pascal Rambert, il meurt parce que nous ne savons pas revenir à sa source…
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre 14, 10 Kallirois avenue, Athènes T. : 0030 693 219 5393.

Σάββατο 26 Οκτωβρίου 2019

Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco, traduction de Kostas Dalianis et Evita Papaspyrou, mise en scène de Kostas Dalianis


Le maître du théâtre de l’absurde montre ici le drame de l’homme face à sa propre mort, en la personne de Bérenger 1er, un roi de fantaisie mais  en qui chaque spectateur peut se reconnaître. Malade, Bérenger agonise et meurt sur scène. Un texte puissant de 1962, influencé par Shakespeare et qui rencontrera un large succès. Le royaume est touché par un drôle de cataclysme: saisons déréglées, pays qui se désertifie, habitants mourant prématurément, palais qui se désagrège… Le  Roi perd tout pouvoir sur les êtres et les choses et chaque personnage arrivant de l’extérieur annonce une nouvelle catastrophe.
La pièce commence le matin où le processus de destruction a touché les murs de la salle du trône  qui se sont fissurés. L’espace scénique est ici traité comme un corps malade dont le pourrissement est en relation avec la maladie du roi qui s’aggrave. Aussi le médecin, qui est aussi l’astrologue et le bourreau du Royaume, vient-il porter un double diagnostic. Bérenger est sur le point de mourir, les portes, fenêtres et murs disparaissent lentement, et s’effacent peu à peu dans la perception du roi qui devient sourd et aveugle. Et les battements affolés de son cœur ébranlent la salle du trône et achèvent de la détruire. Eugène Ionesco utilise le fantastique à des fins allégoriques : la mort du roi est la fin du monde. Cette disparition survient quelques secondes après l’évanouissement du décor, une image forte qui place le spectateur dans la position du mourant pour qui c’est le monde, et non lui, qui disparaît.
Eugène Ionesco met en scène la condition de l’homme partagé entre désir de jouissance et nécessité de se préparer à la mort, un conflit illustré par les deux reines. Gaie et aimante, Marie, voudrait rattacher le roi à la vie, le plus longtemps possible mais  elle perd son pouvoir dès que la mort s’approche. Elle devra céder la place à Marguerite qui assiste le roi dans cette épreuve et qui règle les différents moments du rite de passage. Austère psychopompe, elle préside à la cérémonie et amène le roi à renoncer peu à peu à tous ses désirs, détachant ainsi les liens qui le retiennent encore à la vie et elle le conduit dans sa marche vers la mort. Avec ces  reines,  l’auteur oppose deux conceptions de l’existence: occidentale et orientale. Pour Marie, la mort est un déchirement inacceptable et pour Marguerite, elle permet d’approcher du « Grand Rien », de la plénitude du vide.
La version des Modernoi Kairoi  (Temps Modernes) renforce le message politique de la pièce sans amoindrir l’élément farcesque, l’humour noir et la parodie de la condition humaine. Dans un décor sombre et simple où dominent blanc, noir, rouge et doré, cette cérémonie funèbre oscille entre burlesque et grotesque.  Et Kostas Dalianis met l’accent sur l’ironie caustique et le sarcasme de l’écrivain, face à l’effondrement d’un pouvoir usé, arrogant, insatiable et corrompu ; une allusion  aux régimes où le citoyen reste inerte et faible, sans réagir contre les démagogues qui le manipulent.
Sans  que le metteur en scène l’ait orienté vers un lourd scepticisme, le spectacle souligne l’éphémère de l’existence, la fuite du temps, la peur vers l’inconnu de l’au-delà, les inquiétudes métaphysiques des mortels et la recherche éternelle d’un sens ou d’un but dans la vie. Kostas Dalianis crée un microcosme où le rire alterne avec un soupir amer et le caractère tragique de la bouffonnerie; il  montre le passage de la félicité totale, à la déchéance externe. Il s’agit d’une poétique de la vie qui se dessine, malgré le pessimisme apparent.
Vassilis Georgossopoulos  est le Roi Bérenger. Au début, dans toute sa force juvénile, il est audacieux et sûr de lui et à la fin, une créature dégradée, aliénée et tragique. Evita Papaspyrou (Marguerite) maîtrise avec  une interprétation  remarquable et très nuancée, l’évolution du personnage . Antonia Pintzou (Marie) et Aggeliki Lymperopoulou (Juliette) renforcent le paradoxe comique. Yannis Petridis excelle avec une impeccable gestuelle en Docteur-Bourreau. Le Gardien d’Andréas Velentzas est une «vraie» statue mouvante d’une forte signification : le pouvoir exécutif agit toujours  avec une froideur sans  raison…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Alkmini, 8-12, rue Alkminis, Athènes. T. : 0030 210 34 28 650.

Κυριακή 20 Οκτωβρίου 2019

La Puce à l’oreille de Georges Feydeau, traduction en grec de Minos Volanakis, mise en scène de Petros Filippidis

On joue Feydeau en ce moment à la Comédie-Française à Paris mais aussi à Athènes! La pièce (1907) marque le retour de Feydeau au vaudeville, genre où il excelle. Avec une intrigue  fondée sur une histoire de sosies: un directeur de compagnie d’assurances, Monsieur Chandebise et un garçon d’hôtel alcoolique au nom comique de Poche. Inspirée par  Leopoldo Fregoli, un acteur italien capable d’interpréter une soixantaine de rôles en même temps… Mondialement connu, il faisait l’admiration de Feydeau qui allait souvent le voir au théâtre… 
Ainsi naquit La Puce à l’oreille où foisonnent naturellement quiproquos et rencontres imprévues. L’acte II se déroule à l’hôtel du Minet Galant, à Montretout, un nom on ne peut plus adéquat pour cette maison abritant les amours adultères et l’une des chambres est munie d’une tournette qui permet de faire virer le lit d’une pièce à l’autre, pour éviter les flagrants délits. Chassés-croisés et courses-poursuites se succèdent à toute vitesse  mais les soupçons des époux se révéleront, après vérification, injustifiés.
Petros Filippidis crée un spectacle fidèle à l’esprit de l’écrivain français grâce à la superbe traduction en grec  de Minos Volanakis et au jeu très physique des comédiens. Le décor imposant et les costumes de Yannis Metzikof soulignent l’époque, le milieu social et le style des personnages, sous les éclairages de Leftéris Pavlopoulos. Le metteur en scène a su donner à la pièce un rythme précis et accéléré grâce au tuilage des répliques et cette frénésie comique provoque le rire aux éclats chez le spectateur.
Les comédiens grecs ont une gestualité exceptionnelle et  Petros Filippidis a su rendre visibles les personnages, avec quelques attitudes et mouvements simples… Il s’agit d’une version classique de cette pièce connue dans le monde entier, mais sans expérimentations inutiles et trouvailles qui pourraient orienter l’esthétique farcesque vers un lourd scepticisme. Pur divertissement, rire garanti, écriture scénique claire et sincère: bref, un spectacle à ne pas manquer ! Feydeau aurait été fier et content !

Nektarios-Georgios Konstantinidis    

Théâtre Moussouri, 7 Place Karytsi, Athènes. T. : 0030 210 3310936