Κυριακή 29 Νοεμβρίου 2020

La Dame de chez Maxim de Georges Feydeau, traduction et mise en scène de Thomas Moschopoulos




Noctambule, grand amateur de soirées sur les boulevards, Georges Feydeau fréquentait assidûment les cafés et brasseries de la capitale où il observait avec plaisir la faune des Parisiens en goguette. Dès 1894, il établit son quartier général chez Maxim’s, fondé un an auparavant et devenu, en peu de temps, le restaurant à la mode. Il y dîne presque tous les jours avec le tout Paris: dandys, artistes, écrivains… Cette maison lui inspira cette pièce, l'une de ses plus célèbres et qui fut créée à Paris en 1899.

Le personnage principal est une danseuse de chez Maxim, surnommée la Môme Crevette. Maligne, canaille, provocante, elle a la répartie facile et mène le jeu. Ne songeant qu’au plaisir, elle devient l’incarnation de  la « vie parisienne ». Dès les premières scènes, cette cocotte est à l’origine d’une histoire d’adultère, que son complice d’un jour, le Docteur Petypon, essaye de cacher avec déguisements, changements d’identité, mensonges, fuites, cachettes et autres subterfuges traditionnels du vaudeville. La pièce longue et à l’intrigue très moderne mais compliquée et avec une trentaine de personnages, alterne quiproquos, bévues et scènes de séduction ou divertissement selon les règles du genre.

L’atmosphère fin de siècle est fidèlement retranscrite et la Môme Crevette à qui la plupart des hommes voue un véritable culte, danse un remarquable french cancan. La pièce reflète les préoccupations scientifiques de l’époque: deux protagonistes sont médecins et utilisent un «fauteuil extatique» directement inspiré des expériences contemporaines sur le magnétisme, pour endormir leurs patients. Ainsi à l’acte III, plusieurs personnages sont magnétisés en même temps. Extatiques et plongés en plein rêve, ils forment une chaîne humaine et réalisent les actions les plus farfelues dont ils ne se souviendront plus à leur réveil. La science entre ainsi au service du comique avec des imbroglios jalonnant la pièce. Ici, rationalité scientifique et monde de l’absurde ont partie liée.

Thomas Moschopoulos, en traducteur habile, a su respecter l’oralité de la communication quotidienne chez Feydeau et conférer  aux expressions populaires ou argotiques des personnages une densité sonore savoureuse. Une discrète allusion sexuelle surgit des chansons interprétées avec une belle allégresse et un humour léger… Le spectacle, fidèle à l’esprit du dramaturge français, est de grande qualité: le metteur en scène a réussi à saisir le rythme frénétique, les tons et l’esthétique du burlesque et à actualiser la pièce. Les nombreux acteurs- tous remarquables- incarnant les personnages de Georges Feydeau avec vivacité, les costumes exubérants de Claire Bracewell, la musique de Corneille Selamsis, les éclairages de Nikos Vlassopoulos, le décor majestueux d’Evangélie Thérianou: tout ici amuse beaucoup le public grec en cette période de confinement…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Spectacle vu le 28 novembre en retransmission en « streaming » du Théâtre National de Grèce, Athènes.  

Τρίτη 3 Νοεμβρίου 2020

Composition pour six corps, performance-danse, conception, mise en scène et chorégraphie d’Antonia Oikonomou


Sur une scène vide, ce spectacle de danse explore le processus de la création artistique à partir de la fameuse «page blanche ». Au centre de cette création, la rencontre des corps et leur coexistence dans un espace clos et dans un temps vague : celui des longues répétitions où des idées naissent, s’annulent réciproquement ou s’effacent… En exploitant a priori un même matériau sensoriel, le corps humain, c’est-à-dire expressif et énonciateur, le théâtre et la danse héritent nécessairement  d’une ambivalence constitutive : forme matérielle visible et  énergie pulsionnelle mais aussi désir d’expression et pouvoir signifiant. Le corps langagier est en effet, semble-t-il, à la fois déchiré par une distorsion permanente et condamné à vouloir l’abolir  dans une quête éperdue et vaine de son unité et de son identité.

Antonia Oikonomou, avec cet« essai scénique », traite le corps de l’artiste; et sa philosophie de l’espace devient celui d’une coordination interactionnelle. Cinq danseurs (et non pas six !)  pour un monde fictionnel condensant dans un tourbillon du mouvements et  de rares paroles,  les étapes d’une répétition en cours d’un spectacle. Une sorte de «rêverie» qui dévoile la frénésie de la préparation et la créativité d’un performeur… Le corps et l’esprit font un va-et-vient continuel entre l’intérieur et l’extérieur : parfois, le public se perçoit de l’intérieur, en s’identifiant à l’objet ou perçoit l’autre, de l’extérieur comme un corps étranger. Avec une dénégation de la réalité du perçu. Les danseurs accentuent le mouvement pendulaire de cette dénégation et nous promènent entre fiction éloignée et performance vécue et, à d’autres moments, l’ancrent dans une fiction où se mêle leur connaissance de la réalité.

 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Spectacle vu le 1 novembre au Théâtre Roes, 16 rue Iakchou, Athènes. T. : 00302103474312. Attention: en novembre tous les théâtres d’Athènes comme ceux de Paris, etc. seront fermés!

Δευτέρα 20 Ιουλίου 2020

En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène de Yannis Kakleas

Cette  pièce devenue culte écrite en 1948 fut publiée en 52 aux éditions de Minuit et créée l’année suivante au Théâtre de Babylone dans une mise en scène de Roger Blin qui jouait  Pozzo, avec Pierre Latour, Lucien Raimbourg, Jean Martin, Serge Lecointe  et Louki dans le rôle de Lucky. Le grand auteur refusait les conventions et cherchait à déconstruire les règles de  l’illusion théâtrale… Quatre personnages seulement;  deux attendent un hypothétique et non identifié un certain Godot qui ne viendra jamais…
Pas d’intrigue mais des jeux verbaux et scéniques. Sur le plateau, une route de campagne avec un arbre. Deux clochards, Estragon et Vladimir, répètent en continue des séries de gestes et se livrent à des joutes verbales sans issue. La façon de retirer une chaussure ou un chapeau, de faire des calculs de probabilité sur les trois crucifiés et les quatre Evangélistes ou de prendre la meilleure pose pour manger une carotte.
Quand le jeu s’épuise, Beckett rappelle la loi qui régit sa construction : attendre Godot est un principe régulateur et  sans signification dramatique. Il y a un autre couple : Pozzo et Lucky, une parodie du maître et de l’esclave. Pozzo tient Lucky par une longue corde et manie le fouet : il feint de déclamer une tirade devant le public, ajoutant ainsi un effet méta-théâtral de plus. Et survient alors le monologue devenu célèbre de Lucky, une sorte de raisonnement logique perverti, avec allusions burlesques, mais aussi composition sérielle à partir de cellules langagières.
 La mécanique verbale s’emballe et les compères s’emparent du chapeau de Lucky pour interrompre sa logorrhée. Chez eux, pas de psychologie ni d’autonomie de pensée : c’est leur couvre-chef qui les anime. Un jeune garçon vient alors, comme pour feindre une délégation de Godot. Au deuxième acte, pas plus d’histoire mais plutôt une une répétition déviée du premier. Des feuilles sur l’arbre mort marquent l’artifice théâtral et les personnages se mettent de nouveau à arpenter la scène. La déconstruction des styles se poursuit avec des tentatives poétiques, séries de mots, essais de tons… Samuel Beckett travaille sur les éléments scéniques et vide leur présence de tout référent. Le temps devient une durée intrinsèque puis arrive l’expiration des gestes et des voix…
 Ses personnages chutent mais pas de façon définitive : Pozzo est devenu aveugle et Lucky muet. Les micro-événements se répètent sans qu’une mémoire s’impose car cette répétition n’a installé aucune ressemblance et les personnages doutent de ce qu’ils ont vu et fait au premier acte. Vladimir et Estragon refont les gestes, redisent les mots jusqu’à épuiser leur répertoire et l’interrompre à la fin de la pièce. 
Yannis Kakleas souligne le burlesque et le caractère incongru et chaotique de cette farce clownesque. Incompréhension et quiproquos donnent à la pièce une tonalité comique et un pathétique de la dérision. Le metteur en scène a mis l’accent sur la vanité de l’existence humaine, sur le temps qui passe et la solitude dans la société contemporaine. Avec un décor fidèle aux didascalies de l’écrivain. Un seul ajout : une vieille bagnole, objet métonymique et référence à l’attachement de l’homme à la machine…
Spyros Papadopoulos (Estragon) et Thanassis Papageorgiou (Vladimir) forment un duo d’acteurs qui oscille entre comique et tragique, tout en essayant de surmonter leur naufrage dans l’inaction par leur entêtement à se parler ou à se jouer la comédie  avec quelques gestes cruels. Il faut signaler le jeu exceptionnel avec une belle gestualité d’Aris Servetalis dans le rôle de ce Pozzo qui a réellement besoin de Lucky pour exister dans un rapport dominant dominé. Lucky semble exécuter  les ordres! Et Orfeas Avgoustidis montre de façon remarquable un être déshumanisé qui dit toute la misère existentielle.
Aris Kakleas interprète d’une voix neutre, le jeune garçon, personnage énigmatique, messager de Godot et catalyseur du désespoir d’Estragon. La présence muette mais dansante d’Aggeliki Trobouki renforce le mystère et le caractère abracadabrant de Godot  que l’on continuera à attendre à jamais… 
Nektarios-Georgios Konstantinidis

Spectacle en tournée en Grèce, une production de ΤΕΧΝΗΧΩΡΟΣ

Παρασκευή 14 Φεβρουαρίου 2020

Le Lys et le serpent de Nikos Kazantzakis, mise en scène de Christos Thanos

Avec un ensemble considérable de romans, essais philosophiques, théâtre, poésie… Nikos Kazantzakis, né en Crète en 1883 et mort en 1957 en Allemagne, est l’une des figures les plus marquantes de la littérature grecque moderne. Son premier roman, Le Lys et le Serpent (1906) emprunte la forme du journal intime pour nous livrer l’histoire passionnelle d’un jeune couple. Transmis du point de vue d’un homme aux sentiments extrêmes, rythmé par le passage des saisons, ce texte empreint de mystère et de lyrisme a marqué les esprits dès sa parution et a constitué une entrée en littérature précoce impressionnante du grand écrivain grec  sous le pseudonyme littéraire Kárma Nirvamí. Il avait vingt-trois ans… 
Le livre annonce les thèmes centraux qui jalonneront son œuvre dès le début: « J’ai de la fièvre encore aujourd’hui. Tout mon corps est traversé de frissons. Quelque chose s’agite et se tend dans mon esprit -on dirait qu’un ressort se détache brusquement, que derrière mon front, se dévide, avec violence, une pensée non domestiquée.  » (…) « Il me semble que ses lèvres rouges sont deux grosses gouttes de sang et quand je me penche sur elles et les baise, un désir sauvage, un violent instinct anthropophage d’un âge primitif se déverse dans mes veines – et je frissonne tout entier et je crois sucer de la chair humaine dégoulinante de sang. »
Iro Bezou et Christos Thanos ont adapté le texte pour le théâtre et en proposent une belle narration  grâce à une gestualité et une diction vibrantes. Dans une salle carrée, une robe rouge pendue sur un cintre, symbole du corps féminin et de la passion. Et sur de longs et étroits praticables, ils marchent très lentement et disent le texte en déchirant des feuilles de papier. Avec une voix sensuelle, une respiration profonde, des expressions hédoniques, un regard parfois érotique et des pauses significatives A la fin, ils arrivent au proscénium. Noir brutal puis on entend un bruit de combat. Tableau vivant des deux corps et forte sémiotisation du caractère guerrier de l’amour. Un spectacle où les metteurs en scène arrivent à exprimer de façon très intéressante la dialectique entre chair et esprit,  lumière et obscurité, amour et mort.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre alternatif  BIOS, 84 rue Peiraios, Athènes, T. : 0030 210 3425335.

Κυριακή 9 Φεβρουαρίου 2020

Le Système de Ponzi de David Lescot, traduction en grec d’Ersi Vassilikioti, mise en scène de Michalis Sionas

On retrouve chez l’auteur un esprit d’utopie et de résistance, consistant à mêler rêve et réalité afin d’ouvrir au théâtre, le champ des possibles. Avec un esprit adapté au nouvel état de la planète, de l’Europe et au désenchantement du monde.  Son écriture et son travail scénique mêlent théâtre et formes non‐dramatiques, musique, danse et une matière documentaire. Cet opéra parlé, écrit en 2012, participe d’un récit épique où son auteur crée un espace et une esthétique de la dislocation et du réagencement permanent, à l’image d’un monde-champignon qui se dresse, s’écroule et renaît sans relâche.
A partir d’une thématique de l’argent et du profit, l’écrivain veut provoquer notre  conscience et il critique l’existence même, sans bavardage. Il en transpose ici la question la plus aigüe: celle de la valeur des choses. Dans un monde qui tourne selon les actions de la Bourse, l’homme réagit comme une marionnette vouée aux principes du capitalisme. L’Italien Charles Ponzi (1882-1949) émigra aux États-Unis au début du vingtième siècle et monta à Boston une monumentale escroquerie dont s’est ensuite inspiré Bernard Madoff… Fondée sur un principe simple, une structure pyramidale avec des intérêts versés aux épargnants prélevés sur les sommes placées par les souscripteurs suivants. Mais pour que les recettes couvrent ces versements, il faut évidemment une croissance permanente des souscriptions… Souvent condamnée et strictement interdite, cette pratique, très dangereux, ne peut fonctionner très longtemps! Mais Charles Ponzi garantissait aux investisseurs 50% d’intérêts en quatre-vingt dix jours! Une escroquerie devenue emblématique des fausses promesses de la Finance et dont la crise des «subprimes » est le plus récent écho.
Michalis Sionas a conçu une mise en scène minimale -ni musique ni danse- avec, pour seuls accessoires, deux  téléphones, des billets de banque et des journaux. Il met en valeur les improvisations corporelles et le jeu des acteurs qui excellent dans la narration. Dans une salle carrée, rien d’autre que des bancs. Au début, les  personnages restent muets et immobiles. Par la suite, parole et mouvement emplissent la scène  et donnent vie aux aventures de Ponzi. Séquence après séquence, Diamantis Adamantidis (Ponzi), Tryfonia Aggelidou, Yannis Sampsalakis et Maria Hanou interprètent plus des trente personnages de cette histoire.  Le metteur en scène met en avant un discours politique qui mène du particulier au général et nous nous sentons tous concernés. Un spectacle  à ne pas manquer !
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre 104, 41 rue Evmolpidon, Athènes. T. : 0030 34 55 020

Τετάρτη 29 Ιανουαρίου 2020

La Petite dans la forêt profonde de Philippe Minyana, traduction en grec de Dimitra Kondylaki, mise en scène de Pantelis Dendakis

Une libre adaptation des Métamorphoses  où Ovide retrace l’histoire du monde, depuis sa naissance jusqu’au règne d’Auguste mais l’écriture  est différente des autres pièces de  l’auteur. Avec l’insertion de didascalies faisant suite à la parole du personnage qui va la lire la didascalie et décrire le geste qu’il fait.  Philippe Minyana transforme les Métamorphoses en une histoire universelle de l’infanticide. Il ne conserve pas les noms des personnages d’Ovide mais  leur donne des noms plus universels : le Roi, la Reine, la Petite. Ce qui permet de  multiples interprétations…
La Petite qui va dans la forêt profonde est une histoire archaïque et atemporelle, un conte dense et noir qui s’inscrit dans une vaste épopée, puisque l’œuvre titanesque d’Ovide réunit des centaines de mythes.  Comme celui de Procné et de Philomèle, le roi et la reine de Thrace que réécrit Philippe Minyana. Philomèle réclame sa jeune sœur et son époux Procné part pour la ramener. Mais  le Roi séduit par sa beauté,l’enlève, la viole et la mutile en lui coupant la langue, avant de faire croire à sa mort. L’épouse se vengera en tuant son fils et en le donnant à manger à son époux. Après cette tragédie, la Petite sœur devient un rossignol, la Reine, une  hirondelle et le Roi, une huppe.
Philippe Minyana adapte le mythe avec une parole économe, fondée sur de petites tragédies personnelles, où on passe en l’espace d’une virgule, de la cruauté, à la tendresse inavouée. Ce récit au verbe ancien, complexe et si lointain, devient ici une fable d’une limpidité franche, au propos resserré et substantiel. Le titre:  La Petite dans la forêt profonde, ancre l’histoire dans notre quotidien et lui donne les allures  d’ un récit simple et familier et son auteur familiarise le mythe d’Ovide en faisant de la tragédie antique, un conte actuel.
Pantelis Dendakis crée une  sorte de performance multimédia où la parole alterne et se complète par des images filmiques renvoyant à des jeux vidéo, bandes dessinées et contes gothiques.  Avec des projections de paysages et  de figures monstrueuses à l’appui des répliques. Au centre du plateau – scénographie de Nikos Dendakis- une table, avec, au dessus, un petit écran et au fond, un autre grand écran de cinéma. Sur la table, les minuscules marionnettes sculptés par Clio Gkizeli sont animées par les comédiens. Une belle trouvaille :  l’écrivain  voit avec amertume que tout est à merci de la fatalité! Et ces personnages  ne sont plus que des pions dans un jeu de vengeance !
Polydoros Vogiatzis et Katerina Louvari-Fassoi, en costume noir, parlent au micro et interprètent tous les rôles de façon remarquable. Avec une voix marquant l’évolution cauchemardesque de la trame. La musique de Stavros Gasparatos contribue à la création d’un  univers mystique, plein de suspense, et à une terreur mêlée de magie. Pantelis Dendakis a renforcé le caractère grotesque et macabre du texte et on a l’impression  de participer à un rituel. Une expérience théâtrale à ne pas manquer !
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre KET, 91A rue Kyprou et  35A rue Sikinou, Athènes, T. : 0030 213 0040496.

Κυριακή 12 Ιανουαρίου 2020

Les Fausses Confidences de Marivaux, traduction en grec d’Andreas Staikos, mise en scène de Fotis Makris

Cette comédie créée par les Comédiens-Italiens en 1737 est une pièce de maturité. Marivaux a en effet quarante-neuf ans. Son écriture dramatique a changé: peut-être moins vive mais  plus transparente à la réalité psychologique. Les répliques de ses personnages souvent distraits,  laisse l’inconscient affleurer. Comme dans tout son théâtre, l’amour et sa naissance sont trahis par des propos dont la signification leur échappe mais sont évidents pour le  public.
L’énonciation qui structure toute réplique  est ici mise au service d’une révélation à double détente : d’abord pour le spectateur: dans un premier temps, le personnage ignore qu’il est amoureux, triche avec lui-même, fuit la réalité de ses sentiments, puis voit enfin clair en lui-même… La pièce s’achève alors par l’aveu, la déclaration, et la mise au net. Le marivaudage raconte toujours un peu la même histoire : celle d’un amour inconscient mais lisible par le spectateur. Et peu à peu, ce triomphe des obstacles, le plus souvent intérieurs. Dans Les Fausses Confidences, Araminte doit accepter d’aimer au-dessous de sa condition et en rupture avec les ambitions de sa mère rêvant qu’elle épouse un aristocrate plutôt qu’un simple intendant désargenté. Marivaux oblige chacun à être au clair avec son propre désir et place le désir amoureux au-dessus des intérêts pour en en faire une force vive.  Araminte parvient ainsi à être en harmonie avec elle-même et à exercer pleinement sa liberté de femme émancipée par son veuvage. Dubois a beau être un valet machiavélique aux motivations un peu mystérieuses mais, avec véritable maïeutique, il aidera Araminte à accoucher de sa propre vérité.
Le personnage chez Marivaux  a peur de se découvrir désirant et de n’avoir plus la maîtrise de soi. Plus le désir est puissant, plus il plonge l’être qui le ressent dans un chaos qui menace son identité. La surprise et la naissance de l’amour, telles que le célèbre auteur français les met en scène, restent d’une profonde actualité. Les sociétés changent, et avec elles, les préjugés et relations entre hommes et femmes. Mais le désir reste toujours une grande révolution intérieure et l’amour, une extraordinaire aventure où l’on se perd, pour mieux se trouver.
Marivaux mieux que personne, décrit avec la plus grande minutie cette révolution intérieure, ce branle-bas dans notre inconscient que nos paroles révèlent en échappant à notre propre intelligence, en devenant un « lapsus» sur lequel  -bien avant Freud- est souvent fondé le délicat comique de  ce théâtre.
Mais Fotis Makris n’est pas arrivé pas à saisir l’esprit du marivaudage avec tous ses sous-entendus et il crée alors une sorte de méta-texte aux trouvailles para-linguistiques  et il a tendance à commenter presque chaque réplique.
C’est une version « moderne » de la pièce mais ici une gestualité parfois excessive prétend expliquer le texte, et des musiques illustratives  interrompent l’action. Dans un salon  où domine la couleur rose,  dans le jardin un écran de télévision diffuse à des moments précis, des extraits des documentaires sur la reproduction de reptiles, une émission de gymnastique, des scènes de films pornos…. Bref,  une association d’images superficielles pour provoquer et/ou désorienter le public. Avec toujours une tendance à commenter  sentiments et motivations des personnages. A la fin, la scène reste vide d’accessoires. Les comédiens, en costume contemporain, jouent selon l’esthétique du metteur en scène, avec force paradoxes: ce qui pourrait être intéressant dans une recherche expérimentale mais qui n’a pas du tout sa place ici. Mais il faut mentionner la traduction exceptionnelle  d’Andréas Staikos, grand spécialiste du dramaturge français, qui a réussi, lui, à recréer l’esprit du marivaudage.    

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Studio Mavromichali, 134 rue Mavromichali, Athènes, T. : 0030 210 64 53 330