Κυριακή 23 Απριλίου 2017

Le Bocal de Tzeni Dagla, mise en scène d’Aspa Tobouli, Théâtre « Fournos »

      Le Bocal est un monologue dramatique à deux « extensions » suivant la qualification de sa structure scénique par l’auteur même, Tzeni Dagla. En effet, madame Dagla écrit un texte destiné pour la scène et y traite le problème de la solitude absolue d’une femme indépendante et tout à fait émancipée, sauf dans ce qu’on pourrait appeler le monde intérieur ! Cet espace interne est, à vrai dire, habité par diverses « populations » psychologiques, d’un côté et de l’autre côté par des silhouettes vraies ou imaginaires, qui retentissent comme des espèces d’échos venues de rêves renversés et souvent, comme les voix de nos cauchemars. Après tout, le monologue de la dramaturge grecque cueille attentivement le pathos personnel et le rend œcuménique.
       On s’y reconnaît en tant que spectateur qui attend sa récompense à travers les lignes du texte énoncé et « joué » par l’excellente comédienne Mania Papadimitriou, qui interprète le corpus central de la pièce. En outre, la mise en scène d’Aspa Tobouli n’exagère pas en ce qui concerne l’utilisation d’images en dehors de ce que le personnage monologuant raconte : juste l’éclairage bien efficace d’Apostolos Tsatsakos et les vêtements de Christina Papoulia y compris la perruque. Mania Papadimitriou se déplace dans l’espace du théâtre et se présente très expressive conformément les changements de ton du personnage de Lucie. La musique est choisie par Dimitris Iatropoulos. Notons que le jeune comédien Efthymis Christou incarne avec beaucoup de justesse les émigrés, Ahmed et Soufi en les incorporant à l’ensemble du monologue. Aussi bien la comédienne Mania Papadimitriou que le comédien Efthymis Christou jouent avec beaucoup de vivacité et soulignent ainsi les trouvailles caractéristiques de la mise en scène d’Aspa Tobouli. D’ailleurs, les deux acteurs mettent en valeur le symbolisme du bocal et de ce que signifient l’objet et son contenu, c’est-à-dire l’eau et le poisson rouge. Il est à noter que le poisson porte le prénom Lucie comme le personnage de la pièce. En fait, le monologue et sa mise en scène indiquent pleinement la mise en abyme de la torture tout entière qui unit l’espace de chacun à l’espace de tous. En fin de compte, le poisson rouge nage dans son habitation aquatique tandis que dans la mer méditerranéenne « nagent » et s’y perdent à jamais les Ahmed et les Soufi… 

Nektarios-Georgios Konstantinidis


Théâtre « Fournos », 168 rue Mavromichali, Athènes, tél. 00 30 210 64 60 748

Πέμπτη 13 Απριλίου 2017

Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac au Théâtre Technis « Karolos Koun » (rue Frynichou)

     L’originalité de Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac (écrit en 1928) tient essentiellement à trois facteurs principaux : son protagoniste si humain et si monstrueux à la fois – enfant géant que son intelligence extrême pousse à la destruction et à l’autodestruction ; la façon dont le dramaturge reprend les codes et des valeurs du drame bourgeois pour les subvertir ; un alliage stupéfiant de rire et d’effroi, de comique et de tragique. Cette œuvre est la plus achevée dans le domaine du surréalisme théâtral, introduisant la dimension de la cruauté au sein d’une recherche de l’absurde.
     Le fameux compositeur Stamatis Kraounakis, qui incarne aussi le personnage de Victor, propose une version musicale de la pièce dont le livret renforce la théâtralité et la côté spectaculaire dérivant du texte. La mise en scène de Marianna Kalbari s’aligne à l’esthétique du burlesque qui va de pair à un grotesque effrayant, à la limite du macabre. Tout le spectacle est une fête grandiloquente, pleine de chansons qui soulignent l’amertume de l’innocence perdue. Les enfants ne peuvent pas changer le monde. Le sentiment du pessimisme hante le spectateur sans alourdir quand même le climat général. D’ailleurs, le décor de Konstantinos Zamanis, qui a fait aussi les costumes, est un grand cirque dans lequel les créatures de Vitrac se baladent à la recherche d’une identité dans un monde hostile à « l’imagination au pouvoir ». Dans ce cadre, les chorographies de Mariza Tsigka et la lumière de Stella Kaltsou rappelle chaque instant le caractère symbolique qui soutient la vision du monde de l’écrivain surréaliste. Les comédiens interprètent leurs rôles d’une façon démesurée qui met en relief la raillerie et le rire caustique de la satire ; Charis Fléouras (Lili), Fotini Baxevani (Esther), Fenia Papadodima (Emilie/Ida), Christos Gerontidis (Charles), Maria Tzani (Thérèse), Gerasimos Genatas (Antoine), Konstantinos Efstratiou (Général), Vassilina Katerina, Marios Kritikopoulos, Vassilis Papadimitriou et Kostas Koutroulis. Sur la scène, les musiciens Vassilis Drouboyiannis et Vayios Prapas.

Nektarios – Georgios Konstantinidis

Τετάρτη 12 Απριλίου 2017

Antigone de Jean Anouilh, mise en scène d’Hélène Efthymiou (spectacle en grec)

     
    Jean Anouilh est un auteur dramatique qui se distingue par la diversité des sujets qu’il emploie ainsi que de la forme des situations sur lesquelles il s’appuie, pour montrer le lien entre la vie et le fait « théâtre » qui la dépasse. En effet, son microcosme théâtral décrit la partie métonymique des choses qui tissent les occupations et les préoccupations quotidiennes. Ainsi, la métaphore acquiert sa place entière et devient ultra-fonctionnelle à partir du moment où elle traduit et interprète le passage d’une réalité historique à une réalité fantasmatique, fictionnelle.

      Dans sa pièce Antigone, Anouilh garde intacte la fable archétypale de la tragédie de Sophocle tout en lui insufflant l’air de l’époque aux alentours de 1944, date de la première représentation de la pièce devant le public français. Toutefois, l’intertexte d’Anouilh se construit petit à petit, au fur et à mesure que l’entre-deux-guerres fournit des exemples de tortures et de luttes humaines qui poussent les intellectuels, écrivains et artistes, à la protestation pour dénoncer le totalitarisme et tout ce qu’engendre de maléfique à savoir l’esprit nazi et le fascisme. Aussi, l’entre-deux-guerres s’enrichit-il de potentiel en ce qui concerne la révolte et la résistance contre l’horreur et les atrocités de la Seconde Guerre Mondiale. De toute façon, Antigone antique est déjà synonyme de résistance. Elle se place du côté de ceux qui aspirent à exercer leur devoir de citoyen face à ceux qui exercent le pouvoir. Antigone d’Anouilh dénonce l’élément conflictuel au profit d’une cité pacifique et favorable envers les citoyens consciencieux réclamant leur droit à la désobéissance à l’égard d’un système politique considéré comme injuste.
      Notons que le nouvel élément qu’apporte l’intertexte d’Antigone, d’après Jean Anouilh, se base sur le renouvellement du « contrat » entre les vieux systèmes de valeurs mis en cause. En outre, on remet en vigueur les vieux codes coutumieux dans le but d’y reconnaître la valeur universelle de tel ou tel élément qui codifie l’histoire dans l’ « ici et maintenant ». De cette manière, l’actualisation d’Antigone de Sophocle s’avère un acte de grande importance au niveau de la symbolisation, comme procédure qui assure la codification de l’archétype et sa portée dans l’actualité. Anouilh respecte la matière première qui lui est offerte par le texte du poète tragique grec. Comme son précédant, il focalise sur l’ « agon » de logos, donc sur la lutte au niveau de l’argumentation formulée dans la perspective d’exprimer une opinion. C’est ainsi qu’Anouilh formule le discours de la bravoure et du sentiment face au discours du devoir et de la raison. Sous cette optique, le conflit paraît inévitable si l’on y ajoute l’intransigeance des uns et des autres. A partir de là, le discours du tragique, renouvelé par Anouilh, remet en situation l’homme en train de se mesurer avec ses propres ressources foncières de l’ « égo » coexistentiel.
       Il est à souligner que la traduction grecque de Stratis Paschalis se met au service de l’auteur français dans une « rencontre » des plus harmonieuses au niveau de la production de signification. En ce qui concerne la thématique surtout, le traducteur grec conduit son texte à la découverte d’un univers tout nouveau, attaché pourtant au climat conflictuel qui a fait naître, d’abord la « mythologie » d’Antigone à travers Sophocle, puis celle d’Anouilh. Antigone d’Anouilh prend ses distances par rapport à l’antiquité, juste pour mettre à la lumière du jour les antinomies de tout conflit majeur, élaboré dans un centre, c’est-à-dire dans un huis clos caractéristique pour emmener au plus profond et au plus large du discours de la guerre. Stratis Paschalis traduit en interprète convaincu l’intertexte d’Anouilh, tout en le traitant comme une occasion de toucher à des problèmes de l’actualité crue et cruelle. L’on dirait, d’ailleurs, que la traduction de Paschalis en constitue un nouvel intertexte qui commente la dialectique de l’allusion et des mots couverts jusqu’à ce qu’éclate ce quelque chose depuis longtemps attendu avec aversion.
       Antigone d’Anouilh est représentée dans le cadre du Festival d’Athènes, au Théâtre « Rex », sous la direction d’Hélène Efthymiou, dans une mise en scène particulièrement choquante, vue l’ambiance maladive dans laquelle plonge l’histoire de la fille d’Œdipe. C’est plutôt cet élément qui constitue le détail significatif du discours conflictuel, demi « innocent » et/ou inoffensif et demi nuisible et mortel. En effet, la fable d’Antigone d’Anouilh se développe dans une maison de retraite, un asile ou même un endroit dans un hôpital d’invalides, parfaitement dessiné et mis sur pied par la scénographie de Zoé Molyvda Fameli. Les objets qui indiquent la signifiance de la localité sont les ventilateurs, utilisés comme objet – extase, manipulés dans le but de renforcer l’air maladif dans son mouvement perpétuellement clos. Les « habitants » de cet espace semblent irrévocablement cloués et immobiles.
       Dans le rôle d’Antigone, Vassiliki Troufacou donne plutôt l’impression de raconter l’itinéraire du personnage et de la personnalité d’Antigone, sans approfondir vraiment aux profondeurs de l’héroïne tragique. Par contre, Stelios Maïnas, en tant que Créon, conduit le spectacle entier à d’autres horizons beaucoup plus solides et sensibles, pour ce qui est les fondements de l’archétype du pouvoir vilipendé par les circonstances dues à l’impotence. 
       Le Chœur, incarné par l’acteur Phédon Kastris, exprime le fonctionnement du « masque » qui met en miettes le personnage référé. Aussi, la Nourrice d’Aneza Papadopoulou, crée-t-elle une présence faite de sympathie et d’acceptation. En outre, l’Ismène de Jeanne Mavréa et l’Hémon de Georges Frintzilas jouent entre la mesure et la démesure dans le jeu de l’acteur. De même, les gardes de Nicos Dalas et d’Erricos Litsis construisent une paire dynamique au niveau de leur participation artistique qui ne passe pas inaperçu. D’ailleurs, Erricos Miliaris, comme le Page de Créon, malgré le peu de paroles, qui lui sont fournies, souligne sa présence de façon particulière ainsi que Marie Liami, qui incarne le personnage muet d’Eurydice traversant majestueusement l’espace dans sa marche vers le suicide.
       Il est à noter que la pièce d’Anouilh se termine sur les paroles de l’écrivain montrant la mise en place des gardes, une fois que la fable prend fin. Le Chœur dit : « Il ne reste plus que les gardes. Eux, tout ca, cela leur est égal ; c’est pas leurs oignons. Ils continuent à jouer aux  cartes… ». Cependant, la mise en scène passe outre les indications de l’auteur, comme il aurait fallu faire, d’après nous, et ne saisit pas l’occasion de montrer la suite peu flattante à travers l’indifférence des gardes face au sérieux de l’histoire : pour eux, le destin fait son travail. A Thèbes, on attend le retour de Sphinx et d’Œdipe comme si de rien n’était.

Festival d’Athènes 2016

Nektarios-Georgios Konstantinidis


Σάββατο 1 Απριλίου 2017

Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès, traduction Dimitris Dimitriadis, mise en scène Angela Brouskou, « Théâtre Technis – Karolos Koun », Athènes

     
      Roberto Zucco (1988) de Bernard-Marie Koltès est une pièce de théâtre à épisodes. Cela dit, le spectateur est sensé poursuivre le trajet du personnage central qui se réfère à un meurtrier, le jeune italien Roberto Zucco. Celui-ci commet des crimes accumulés dans un espace précis et suivant les circonstances particulières, depuis l’étranglement de sa mère jusqu’à l’assassinat d’un inspecteur de police et d’un jeune adolescent dans un parc.
       Dans cette pièce, comme dans la plupart des pièces de Koltès, l’espace joue un rôle de catalyte et donne l’impression de dialoguer avec les personnages qui y habitent. Après tout, Koltès relate dans sa pièce la vraie histoire du jeune meurtrier italien Roberto Succo dont les meurtres avaient bouleversé la société française vers la fin des années ’80. Koltès se sert de l’appareil mythique, qui évolue en légende, pour « enrichir » le personnage en lui fournissant des éléments pris dans la liturgie de Mithra, par exemple, son but étant celui de mettre sur pied le discours et la dialectique du héros. Roberto tue sans vouloir tuer. Cela arrive d’une façon toute naturelle : il passe, il écrase et c’est tout. Ceux qui sont voués à la mort ils meurent, les autres survivent pour « raconter » les faits. La réflexion du héros koltésien est simple et ne se complique que pour rendre moins cruelle la pulsion instinctive de l’assassin. En outre, l’auteur utilise certaines manières linguistiques pour soutenir le passage du texte à la représentation. Il semble que les épisodes s’élèvent en unités théâtrales qui poussent à l’extrême, l’on dirait, le spectacle à travers les rencontres caractéristiques de Zucco. Notons également que Koltès accoure à la litote de la métonymie tout en mettant en valeur particulière la métaphore : l’apparition, toute shakespearienne des deux gardiens, entreprend de créer le premier paradoxe que l’on rencontre dans le texte de Koltès : la façon « philosophique » et le cours du dialogue entre les deux gardiens renforcent, par exemple, l’implicite par rapport à l’explicite. Le « duo » des gardiens forme une sémiologie du regard attentif sur l’ensemble des signes qui forgent la personnalité d’un meurtrier. A travers les paroles du syllogisme des gardiens, Koltès se déclare du côté de ceux qui mettent en doute la phénoménologie supportée par la simple apparence. D’après cela, tout être dans le meilleur des mondes possibles est un meurtrier possible.
       La représentation de Roberto Zucco, au Théâtre « Karolos Koun », dans la mise en scène d’Angela Brouskou, s’appuie sur la théâtralisation d’un sujet grave qui s’offre à la mise en spectacle de tout ce qui concerne le personnage vu par l’écrivain. D’ailleurs, la mise en scène de madame Brouskou cherche à « aliéner » les traits des visages mouvants et, pour ce faire, elle se place, elle-même, sur la scène du jeu, une caméra à la main, fixée sur un chevalet, qu’elle mamie à sa façon. Son but est de créer peut-être un nouveau « masque » sur le masque du rôle et de créer aussi divers « miroirs » reflétant un regard, une bouche mi-ouverte, une grimace, au moment de son inscription sur le visage de l’acteur etc. Ainsi, le « discours » photo-graphique de la représentation laisse peu de place, pensons-nous, à l’incarnation des symbolismes d’un rôle. Aussi le visage de l’actrice Parthenopi Bouzouri qui interprète trois personnages de la pièce, la Mère, la Dame au parc et la Patronne du Petit Chicago, n’offre-t-il pas, la substance caractéristique, propre de chacun des rôles indiqués. Le visage de l’actrice demeure un masque unique, presque immobile dans ses nombreuses expressions, souvent moqueuses et, de toute façon, portées vers une sorte de distanciation brechtienne. La même remarque on peut faire pour l’acteur Stratos Tzortzoglou qui interprète trois rôles aussi, l’Inspecteur, le grand frère et le vieux monsieur au métro ainsi que l’actrice Georgianna Dalara qui interprète la Gamine. Les acteurs Antonis Tsiller et Andréas Antoniadis incarnent d’une façon exceptionnelle les deux gardiens.
       Il est à souligner que la représentation au Théâtre « Karolos Koun », sous la direction d’Angela Brouskou, unifie les produits de la mythologie, disons métaphysique, et la cruauté des actes commis par un meurtrier doux et gentil comme l’Ange de la mort. L’acteur Kostas Nikouli, qui interprète Roberto Zucco, concentre en lui les deux dimensions du personnage koltésien : un meurtrier au visage beau, chaste, charmant et en même temps porteur de l’instinct de destruction. Ce mélange de douceur et de cruauté tisse l’antinomie et la force de la pièce de Koltès qui peut désormais être interprété d’après le discours procuré par tout « ici et maintenant ». Une fois la diachronie assurée, la boîte des idées n’est jamais vidée.

Nektarios-Georgios Konstantinidis