Δευτέρα 30 Οκτωβρίου 2023

Sandra à la lumière d’Akis Dimou, mise en scène de Chryssa Kapsouli


Cet auteur grec de cinquante-neuf ans est l’un des plus joués dans le théâtre public ou privé. Diplômé de la Faculté de droit à Thessalonique où il habite aujourd’hui, il a écrit plus de cinquante pièces et nous avions assisté en 1994 à la première, ... et Juliette, un monologue.

Ici, devant un tribunal invisible, Sandra témoigne  de la mort d’un «ami». Tout au long de l’interrogatoire et témoignage, elle essaye de garder une distance par rapport à l’accident. Elle raconte les événements qui ont suivi sa rencontre avec un artiste gréco-canadien, Dani Thomasson, spécialisé dans les films de scènes violentes dans l’ensemble du règne animal. 

 

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Un monologue en référence d’abord à un film où on suit les dernières heures d’un scarabée avant que la botte d’un homme ne l’écrase, puis à un autre film que Dani a réalisé à l’insu de Sandra sur ses ébats sexuels !  Son ami Tryphon, fabricant de meubles à Corinthe, découvre ce tournage secret et elle cherchera et finira par rencontrer Dani dans un hall d’exposition où il prépare un nouveau film,  cette fois avec des écureuils. Au cours de la conversation, elle le pousse avec force.  Il tombe alors contre une vitre et se blesse mortellement.
Le plus intéressant ici est le discours fragmenté de Sandra avec des réactions émotionnelles contradictoires quand elle décrit ces événements. Elle  semble observer et évaluer son image à distance, comme si elle était enregistrée par une caméra invisible: celle utilisée par Dani ou celle qui enregistre son interrogatoire. 

Le langage poétique et les images métaphoriques se combinent. Chryssa Kapsouli érige le personnage de Sandra en symbole de toutes les femmes maltraitées, violées et assassinées à cause de leur sexe. Un commentaire de vidéos projetées sur les féminicides en Grèce  souligne le caractère activiste de ce théâtre.
La metteuse en scène dénonce ici avec cet hommage-protestation d’Akis Dimou, l’attitude de la Justice envers les victimes et ajoute un bref récit: Marianne Bachmeier (1950-1996) est devenue célèbre en Allemagne après avoir en 1981, tué le meurtrier présumé de sa fille dans la salle du tribunal de Lübeck. Elle avait été condamnée à six ans de prison. 
Interprétation vibrante de Katerina Tsoligka qui EST Sandra et dont le corps-signe nous rappelle des vérités que nous nous préférons souvent ne pas affronter… 

Nektarios-Georgios Konstantinidis 

Théâtre Fournos, 168 rue Mavromichali, Athènes. T. : 0030 210 6460748.

https://www.youtube.com/watch?v=1LGGlvujKeQ

Σάββατο 28 Οκτωβρίου 2023

Soudain, l’été dernier de Tennessee Williams, traduction d’Adonis Galéos, mise en scène de Lilly Melemé


Le monde du grand écrivain américain (1914-1983), ce sont avant tout ces hommes et ces femmes qui, au-delà ou en deçà de la psychologie traditionnelle, se désirent et se haïssent parfois sans le savoir et toujours sans le vouloir. Ils s’entre-déchirent dans une atmosphère élégante et tragique où, sous le raffinement, rôde la sauvagerie. En costumes d’un blanc immaculé, les corps transpirent, les glaçons tintent dans les verres d’alcool qui fait des ravages. Des personnages simples comme des héros des westerns ou de grandes tragédies vivent dans un climat lourd d’avant l’orage, comme un signe de leur destin.  Les odeurs entêtantes s’entremêlent avec les cris stridents des oiseaux de proie ou ceux des enfants, rappelant que le monde est une jungle. Il y a aussi la musiques nostalgique d’airs de jazz jouée sur de vieux pianos qu’on entend dans le lointain. 

Tennessee Williams ici convoque les thèmes qui lui sont chers comme la vieillesse,  la beauté des femmes, la folie et son cortège diabolique sous un soleil blanc  incandescent… Cela donne un charme salé mais insupportable à ce Suddenly, Last Summer (1958).
Dans un jardin tropical vénéneux et inquiétant, la richissime Mrs Venable essaye d’en convaincre le jeune et beau docteur Coukrowicz (sucre en polonais): sa nièce Catherine est  responsable de la mort de Sébastien, son fils unique et adoré qui est mort dans des circonstances étranges l’été dernier. La sentence exigée par la vieille dame est terrible: faire subir une lobotomie à Catherine pour qu’elle cesse ses insupportables ragots!
Mais où est la vérité ? Sébastien, dont l’appétit n’était jamais satisfait, sera littéralement dévoré par des enfants maigres, affamés et acharnés comme des oiseaux. Les hommes, comme les femmes, sont victimes de cette solitude fondamentale qui est notre lot à tous, « condamnés à la réclusion solitaire à l’intérieur de notre propre peau. » Le «lyrisme personnel » est le cri d’un prisonnier dans la cellule où il est comme nous enfermé pour la durée de ses jours.
D’abord m
ise en scène par Karolos Koun en 1959, cette pièce riche de possibles interprétations fait souvent l’objet de réalisations en Grèce. Celle-ci  est simple mais pauvre en idées et Lilly Melemé n’arrive pas à avoir une nouvelle approche de ce texte fabuleux. Et même si on l’entend clairement, tout reste à la surface…
La metteuse en scène souligne la dépendance de chacun des personnages à Madame Venable qui les manipule pour cacher la vérité… Son fauteuil au centre de la scène, indique bien que cette femme est très autoritaire mais les grandes idées, le conflit, les paradoxes et les contrastes, les refoulés et sous-entendus, bref toute la poétique magique et obscure de la partition de Tennessee Williams passent inaperçus. Et même s’il y a de bons moments, le compte n’y est pas. Dommage…

Nektarios-Georgios Konstantinidis 

Théâtre Akadimos, 17 rue Ippokratous, Athènes, T. : 0030 2103625119.

https://www.youtube.com/watch?v=4tJsjGJL40s


Τρίτη 24 Οκτωβρίου 2023

L’Ombre de Mart de Stig Dagerman, traduction de Marguerite Melberg, mise en scène de Chryssa Kapsouli

 


Cet écrivain et journaliste libertaire suédois né en 1923 se suicidera à trente et un ans. Dans son œuvre (romans, chroniques, essais, théâtre, poésie) qui sera traduite en plusieurs langues, il aborde des préoccupations universelles : morale, conscience, sexualité, philosophie sociale, amour, compassion, justice…
Il sonde la douloureuse réalité de l’existence et des émotions comme la peur, la culpabilité et la solitude.

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Dans  L’Ombre de Mart, l’écrivain explore la question du salut et témoigne de l’angoisse de l’homme moderne, vaincu, abandonné par la raison, victime de lui-même et fuyant sa propre histoire.
Cette pièce est aussi une réflexion profonde sur la guerre et ses ambiguïtés et une variation sur le culte du héros mort… Et une tragédie où la femme est objet de désir et cause d’échec et surtout pour un jeune homme, éternel perdant, écrasé par l’ombre de son frère. 

En 1947, Still Dagerman avait rencontré à Paris l’écrivaine juive Etta Federn qui avait survécu à l’occupation nazie. Un de ses deux fils, résistant, a été assassiné par la milice française. L’auteur s’inspire de cette histoire pour écrire cette pièce où il noircit le tableau. Il met en scène une femme monstrueuse et poussant au matricide Gabriel, son fils cadet survivant mais mal-aimé.

Tout commence par une histoire de tableau. On sonne à la porte. C’est le facteur qui apporte un tableau représentant Mart, mort à la guerre en héros courageux et que tout le monde glorifie.
Son ombre, ce fameux « mort à la guerre », pèse lourdement sur le jeune Gabriel. Par lâcheté et comme il a été réformé pour cause de myopie, il n’est jamais allé au front et a continué à vivre normalement. Il va tomber amoureux de Thérèse, l’amante de Mart.

Mais l’amour de sa mère et de Thérèse est digne d’un homme courageux, et non d’un lâche. Victor qui, lui, a combattu, est plus digne. La mère de Mart lui offrira son fusil et Thérèse, son amour. Gabriel se retrouvera alors bien seul…La demeure est comme un mausolée élevé à la mémoire de Mart, héros tué au combat et elle est devenue une maternité nazie où, en dépit d’efforts incessants, on n’a pas encore réussi à éliminer les «mal-faits» comme Gabriel…
Là, se terre « la bête immonde », toujours prête à renaître et tant redoutée par Bertolt Brecht. Tuer sa mère, «crime impensable», devenir «le serpent», c’est anéantir ce cerveau inique et choisir de ne plus avoir de dialogue qu’avec la mort.
Still Dagerman a réussi avec L’Ombre de Mart à écrire une confession dramatique qui est aussi l’autobiographie d’un poète abandonné par sa mère à la naissance. Il révèle ici les cauchemars qui le hantent et le vide effroyable qui l’a laissé infirme à jamais.

Chryssa Kapsouli a mis en scène ce spectacle avec un bon rythme, et où sont dévoilées les pensées intimes de l’écrivain. Mais elle accentue aussi discrètement l’aspect politique du texte. Cela se passe dans le salon où trône le portrait de Mart, et dans la chambre de Thérèse, un espace de passion/confession: là se révèlent les personnages. La pénombre et les lumières contrastées imaginées par Yorgos Ayiannitis tracent des lignes de séparation entre rêve et réalité.

Aimilia Ypsilandi incarne cette mère despotique, haineuse, et au dynamisme et à la sévérité remarquables. Fotis Karalis souligne la fragilité, la peur et l’instabilité mais aussi et surtout, le traumatisme de Gabriel, ce fils à la recherche d’un amour maternel et charnel à la fois.
Séduction, passion et sensualité féminine : Emmanuelle Kontogiwrgou fait de Thérèse, un personnage complexe et crée le mystère en ajoutant un élément de doute. Enfin, Theofilos Manologlou joue avec clarté un Victor, fat et manipulateur… La mise en scène comme la direction d’acteurs de Chryssa Kapsouli sont remarquables, à la hauteur de ce grand texte.

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théâtre Argw, 15 rue Elefsiniwn, Athènes, T. : 00302105201684 

 https://youtu.be/xe8ZMyToYtg

Τρίτη 17 Οκτωβρίου 2023

Isabelle Rimbaud, Mon Arthur à moi d’Efstathia, mise en scène de Vicky Volioti


Efstathia est une auteure-compositrice, interprète et dramaturge grecque. Diplômée de la faculté de théologie de l’Université d’Athènes, elle a publié cinq albums personnels de ses chansons et a écrit, entre autres, une pièce: L’Apologie de Marie Curie. Elle a toujours ressenti le besoin de promouvoir des modèles d’intellectuels pour créer un éveil de la société sur les questions d’écologie, de respect mutuel et d’autonomie des femmes.

Dans ce monologue polyphonique, elle donne la parole à Isabelle Rimbaud (1860-1917),  la plus jeune sœur du poète. Quand il tomba gravement malade  elle le veilla à chaque instant de la fin de sa vie et devint son légataire universel.
La pièce s’inspire de son livre Mon frère Arthur, de lettres et documents authentiques et des grands recueils poétiques: Les IlluminationsUne Saison en enfer, Le Bateau ivre.  Un abbé représentant la foi chrétienne et Isabelle tracent le portrait de cet enfant terrible. Avec des lettres choisies de la correspondance de sa sœur avec sa mère au sujet d’Arthur sur qui elle veilla sur durant sa longue agonie. Avec aussi des souvenirs de la vie du poète et des vers de lui.

 

© Marita Amorgianou

© Marita Amorgianou

Isabelle, femme simple, humble, à l’ombre de son frère, sans reconnaissance sociale, est une sœur aimante, imprégnée d’une éducation chrétienne et rigoriste qui admirait tellement. cet «homme aux semelles de vent» et qu’elle évoque avec lyrisme.  Dans le temps du deuil et avec un ressenti intact, elle nous parle d’une expérience salvatrice d’amour fraternel. Elle consacra sa vie à bâtir sa légende. Témoin privilégié des derniers jours de Rimbaud, elle défendra sa mémoire, avec son futur mari Paterne Berrichon, artiste et homme de lettres lui aussi. 

La metteuse en scène souligne le contraste entre le «péché» d’une âme pure et libre et la «piété» d’un monde hypocrite et corrompu. Une longue table avec une bougie allumée renvoie au rituel catholique et à la messe. Tout en créant un univers religieux et poétique à la fois, elle suggère un espace de confession et d’isolement où la sœur d’Arthur Rimbaud  nous offre ses souvenirs. 

Vicky Volioti incarne une Isabelle d’une intimité touchante qui gagne le public dès les premiers instants. Assise au début parmi les spectateurs, elle partage avec eux des photos de la famille Rimbaud, créant ainsi une émotion palpable. La lumière de la salle s’éteint, l’actrice gagne la scène et exprime remarquablement cette Isabelle qui, à la fin, dira quelques vers de Départ, un poème des Illuminations:  «Assez vu. La vision s’est rencontrée à tous les airs./Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours. /Assez connu. Les arrêts de la vie. –Ô Rumeurs et Visions ! /Départ dans l’affection et le bruit neufs !
Ce petit hommage théâtral à Rimbaud restera gravé dans notre mémoire…

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théâtre Mikro Anessis, 14 avenue Kifissias, Athènes. T. : 00302107718943.

Δευτέρα 16 Οκτωβρίου 2023

Quand je serai grand, je serai Nana Mouskouri de David Lelait-Helo, traduction d’Aggeliki Vouloumanou, mise en scène d’Elissaios Vlachos


Après avoir obtenu un doctorat en littérature et civilisation hispaniques à l’Université de Montpellier, cet écrivain de cinquante-et-un ans enseigne l’espagnol. Il se consacre en particulier dans ses livres à des personnalités féminines comme Eva Peron, Maria Callas, Barbara, Dalida…
Parus en 2016, ce roman d’initiation et d’apprentissage est aussi une auto-fiction. Milou, un adolescent dont l’auteur se dit très proche, devient un grand admirateur de Nana Mouskouri, chanteuse grecque de réputation internationale devenue eurodéputée.

Solitaire et rêveur, Milou touché par sa voix, s’éclaire soudain, désire l’imiter, s’habiller et s’exprimer comme elle. Il prend alors la décision de sa vie: il sera Nana Mouskouri. Même si il n’est pas grec, s’il n’a pas de longs cheveux noirs, s’il ne chante pas, s’il ne porte pas de lunettes. Et pire, s’il est un garçon !  

David Lelait-Helo raconte les étapes par lesquelles passe un adolescent qui découvre son identité, en évoquant largement le pouvoir des rêves. Milou réalise finalement que son vrai but n’est pas de devenir la Mouskouri mais d’accepter sa nature et de s’ouvrir aux autres sans avoir peur. À travers son déguisement, il tracera son chemin vers le bonheur. 

Le spectacle  est touchant, ludique, plein de trouvailles originales qui renforcent les points forts du texte, tout en accentuant les non-dits refoulés du personnage. Le metteur en scène révèle l’admiration,  l’enthousiasme, la naïveté, la passion mais aussi l’angoisse, la rêverie et toute la soif qu’a Milou de découvrir le monde.

Elissaios Vlachos souligne ici avec discrétion le sentiment d’être différent des autres et son acceptation sereine. Grâce également aux décors et costumes de Sémiramis Moshovaki, à la musique de Nikos Kollaros et aux lumières de Yorgos Ayiannitis

De ce roman, Virginie Lemoine avait fait une adaptation avec Didier Constant au off d’Avignon 2019.  
David Lelait-Helos serait sans doute très heureux de voir jouer Manos Karatzoyannis dans cette autre adaptation de Quand je serai grand, je serai Nana Mouskouri. Une interprétation exceptionnelle de Milou !
L’acteur bouleverse les stéréotypes de la masculinité et de la féminité qui peuvent cohabiter sous un seul corps... Il sait aussi recréer dans un méta-texte, l’itinéraire de l’adolescence, à l’âge adulte, avec une riche palette d’émotions.  La sincérité de Manos Karatzoyannis,  sa gestuelle et son regard sensibles bafouent l’homophobie et touchent profondément le public. 
Un spectacle à ne pas manquer!   

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

Théâtre Stathmos, 55 rue Victor Hugo, Athènes. T. : 00302105230267 

https://www.youtube.com/watch?v=pg522nnkHR4 

Παρασκευή 9 Ιουνίου 2023

Leonarda, texte et mise en scène de Yorgos Kalogeropoulos


Un texte écrit en rimes et riche de jeux de mots, sous-entendus, est plein de fantaisie, humour noir et images cruelles. C’est une adaptation théâtrale de la vie de Leonarda Cianciulli (1894-1970). En 1939, cette diseuse de bonne aventure a été une tueuse en série et une cannibale. Quand elle apprend que Giuseppe -son fils aîné et son préféré- est incorporé dans l’armée, elle va pratiquer des sacrifices humains pour le faire condamner à la prison, et donc ainsi le sauver d’une mort possible le temps de la guerre. 

Connue sous le pseudonyme de la Saponificatrice de Correggio, elle y a assassiné Faustina Setti, Francesca Soavi et Virginia Cacioppo, une ex-soprano qui avait trouvé un poste de secrétaire d’imprésario à Florence. Elle découpe leurs corps en neuf morceaux qu’avec sept kilos de soude, elle transforme en savon. Et elle récupère le sang qu’elle mélange avec farine, sucre,  chocolat, œufs et lait. Elle en fait des gâteaux qu’elle sert aux femmes qui lui rendent visite. Elle prétend que ceux cuits à partir du sang de Virgina Cacioppo sont les meilleurs.

Sept ans plus tard, elle sera jugée et condamnée à trente ans de prison, dont trois en hôpital psychiatrique. Cette histoire, bien connue en Italie, a inspiré plusieurs films comme Black Journal de Mauro Bolognini, La Saponificatrice -Vita di LeonardaCianciulli d’Alessandro Quadretti, Da Lucia de Roberto Capucci, et récemment, Leonarda de Luca Brinciotti. Et au théâtre, Amour et magie dans la cuisine de maman de Lina Wertmüller, Leonarda Cianciulli: Storia di una serial Killer d’Andrea Pilato.

Ce spectacle, lui, est fondé sur le récit de cette histoire sanglante et les sept interprètes dont l’auteur lui-même qui joue une étrange figure de voyante, alternent les personnages.
Avec quatre chaises, ils réussissent à créer le mystère, semer la terreur et le suspense mais d’une manière poétique.

En évitant de tomber dans le mélo et avec un texte aux nuances comiques et tragiques, le dramaturge et metteur en scène rappelle que chacun peut être à la fois victime et bourreau quand il n’est plus maître de ses actes. Et que Leonarda Ciancculli, jeune, avait été maltraitée…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre 2510, 52 rue Themistokleous, Athènes, T. : 00306971756566.

https://www.youtube.com/watch?v=AqrNmYrKEpw&t=3s





Σάββατο 20 Μαΐου 2023

Athéna Panagoulis (Αθηνάς Παναγούλη Επιτάφιος) de Yannis Soldatos, mise en scène de Kostis Kapelonis


Ce spectacle fait partie du projet: Mon fils… où sont mis en scène des monologues de mères de personnages grecs importants comme ici, Alexandros Panagoulis (1939-1976), figure de proue de la lutte contre la dictature, à travers les souvenirs de sa mère, avec, en commentaire, les événements les plus importants de notre histoire récente.

©Panagoyli

©Panagoyli

Panagoulis était un intellectuel qui s’est battu pour la démocratie et les droits de l’homme pendant la junte des colonels.
Après son attaque ratée contre Georgios Papadopoulos (1968), il a été torturé et emprisonné. Il sera libéré en 1973, à la suite d’une pétition internationale.
D’abord exilé en Italie, il devient membre du parti libéral Union du Centre en 1974 au Parlement grec mais est mort deux ans plus tard dans un mystérieux accident de la route, alors qu’il enquêtait sur les tractations secrètes entre certains membres du nouveau gouvernement démocratique et les militaires pendant la junte des colonels.
La vie et l’œuvre de Panagoulis ont suscité l’intérêt des milieux artistiques. Mikis Theodorakis, aussi persécuté pour ses idées contre cette junte, écrivit des musiques pour ses poèmes.  Ce député est aussi la vedette d’Un Homme, le livre célèbre d’Oriana Fallaci, journaliste et écrivaine italienne (1929-2006) qui œuvra dans la Résistance contre Benito Mussolini pendant la seconde guerre mondiale. Elle vécut avec Panagoulis de 73 à 76 et ce texte et une interview l’ont rendu rendue célèbre dans le monde entier comme symbole de résistance aux régimes autoritaires.

Le texte de Yannis Soldatos est un récit fort et riche en informations, à l’émotion maîtrisée et sans facilités ou didactisme. Les matériaux (documents et photos de la famille Panagoulis) ont été tirés du livre de Kostas Mardas. Kostis Kapelonis a enrichi le spectacle de photos, images de films et autres documents précieux qui en renforcent l’esprit politique. Il faut signaler l’efficacité de la musique de Stavros Siolas sur les vers de Panagoulis. 

Mania Papadimitriou, cette très grande actrice, crée ici un personnage exceptionnel: la mère de Panagoulis et elle sait nous toucher profondément. Un spectacle à ne pas manquer ! 

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Vault, 26 rue Melenikou, Athènes. T. : 0030 213 0356472.

Le texte de Yannis Soldatos est publié aux éditions Aigokerws.

Δευτέρα 15 Μαΐου 2023

Tartuffe de Molière, traduction d’Andreas Staïkos, mise en scène de Yannis Dalianis


Sans doute dans l’intention d’attaquer le parti dévot et, en particulier, les membres de l’influente Compagnie du Saint-Sacrement, Molière a-t-il voulu peindre un hypocrite prêchant la religion la plus austère pour mieux profiter de la naïveté de sa future victime.

Tartuffe parvient ainsi à s’introduire dans la maison d’Orgon, un grand bourgeois dont il veut capter la fortune et séduire l’épouse. Deux camps se forment alors: Orgon et sa mère, Madame Pernelle qui croient en la sincérité de cet imposteur.
Mais Dorine, la fidèle servante,  Elmire, l’épouse et Damis et Marianne, les enfants d’Orgon, son beau-frère, Cléante et sa femme Elmire sont eux beaucoup plus lucides. Leurs actions combinées finiront par ouvrir les yeux d’Orgon, mais trop tard! Tartuffe a déjà pris possession de la maison , grâce à un acte qu’il a discrètement fait signer à Orgon. Mais un deus ex machina, en l’occurrence, Louis XIV lui-même, sauvera au dernier moment le patrimoine de cette famille.

© Patroklos Skafidas

© Patroklos Skafidas

Yannis Dalianis nous offre un spectacle moderne, plein de musique et de couleurs, dans une version qui respecte l’esprit du texte. Mais en dialoguant avec l’actualité. Belles trouvailles, jeux de mots, scènes improvisées et allusions discrètes rappellent et commentent l’abus de pouvoir, les harcèlements sexuels et tous les côtés négatifs de la vie politique contemporaine. Le rôle de Valère, le jeune amoureux de Marianne, a été supprimé: selon le metteur en scène, il retardait l’évolution  de la pièce… Marianne, elle, devient une vivante-morte qui se sacrifie et Damis, un homosexuel. Et il y a très intéressant, un rôle-surprise: le valet de Tartuffe qui reste silencieux quand à  la fin, il dévoile ses vraies intentions. Le metteur en scène utilise les chansons d’Elvis Prisley comme moyen de séduction.
Le jeu des comédiens est plein de brio et d’énergie et Manos Karatzoyannis incarne un Tartuffe exceptionnel. Il réussit à bien mettre en valeur le sarcasme et l’obscurité de ce personnage complexe. Une adaptation à ne pas manquer.

Ce spectacle est dédié à la mémoire du grand metteur en scène Lefteris Voyatzis, mort en 2013. Il avait mis en scène L’Ecole des Femmes et Le Misanthrope, que le public et la critique avait beaucoup appréciés. Et il avait aussi joué le rôle de Tartuffe sous la direction de Spiros Evaggelatos. 

Nektarios-Georgios Konstantinidis 

Théâtre Stathmos, 55 rue Victor Hugo, Athènes. T. : 0030210523026 

https://www.youtube.com/watch?v=-RxsSdZdcnI

Πέμπτη 11 Μαΐου 2023

Intérieur de Maurice Maeterlinck, traduction de Dimitris Dimitriadis, mise en scène de Panagiotis Gizotis


Cette pièce créée au théâtre de l’Œuvre à Paris en 1895, sera redécouverte plus tard et mise en scène par Claude Régy avec des acteurs japonais à Paris. Et enfin à la Comédie-Française il y six ans. Cette fable qui allie simplicité et profondeur du symbolisme dont les dramaturges des années 1950-60 comme entre autres, Bob Wilson se souviendront, est aussi dans cette réalisation, prétexte à une scénographie en décalage et à une création poétique du silence.

Le Père, la Mère que nous apercevons derrière leurs fenêtres avec deux filles et un enfant endormi, ne savent pas encore qu’une autre de leurs filles, sortie le matin même, s’est sans doute suicidée (mais l’auteur ne le précise pas). Le Vieillard, qui a découvert son corps dans la rivière, attend dehors avec l’Etranger et n’osent pas entrer dans la maison annoncer l’horrible nouvelle. La force et l’originalité de l’œuvre tiennent aussi aux espaces conçus: l’intérieur, où la famille que l’on voit seulement vivre, insouciante et muette et l’extérieur, où sont les témoins, retardant le moment de pénétrer dans la maison, suspendent le temps.

Le Vieillard et l’Inconnu assument ainsi la fonction de narrateurs épiques et leur échange  s’apparente à une longue didascalie alternée où ils commentent les humbles gestes de ceux qui, dans le silence, au lointain, vivent encore dans l’ignorance et la tranquillité. Ce drame statique associant images et silence mais ici en séparant action et dialogue, trouve une remarquable expression. 

Et cette première mise en scène de Panagiotis Gizotis est un bel essai poétique sur «l’espace dans l’espace». Avec une sorte de rituel aux images fortes, avec un silence, une gestualité, des sons et une lumière de grande qualité.

La représentation a lieu au premier étage d’un ancien immeuble style néoclassique de l’avenue Alexandras au centre d’Athènes. Une actrice nous accueille et nous  fait monter dans l’appartement où nous serons les témoins de la vie de quatre personnages autour de la table du salon.
Un spectacle dans le spectacle avec des actions en parallèle où le metteur en scène donne une lecture originale de deux espaces: une miniature de la maison et la projection de ce qui se passe à l’intérieur. Sur un écran, nous voyons les personnages agir dans cet espace clos. Joués par d’excellents acteurs créant une illusion qui fascine le public grâce à une gestion exceptionnelle du rythme, des intonations et de l’expression corporelle par Panagiotis Gizotis.

Le magnétophone, les enregistrements sur cassettes que les comédiens changent eux-même, donnent à cette mise en scène un aspect mystique. Intimité et étrangeté, à la fois entre artificiel et naturel, se conjuguent pour souligner le «tragique quotidien» de Maeterlinck. Une expérience théâtrale à ne pas manquer!

Nektarios Georgios Konstantinidis

Jusqu’au 12 mai, Πάνω Σπίτι (Maison), 37 Alexandras avenue, Athènes. T. : 00306986614274

Πέμπτη 2 Μαρτίου 2023

Marie Sklodowska Curie de Thémis Moumoulidis et Panagiota Pantazi, mise en scène de Thémis Moumoulidis


La vie de cette personnalité a inspiré les dramaturges. Etudiant, il y avait vingt ans, nous avions eu la chance de jouer Les Palmes de Monsieur Schutz de Jean-Noël Fenwick et l’an passé, nous avons assisté à L’Apologie de Marie Curie d’Efstathia, mise en scène par Kirki Karali. 

Marie Sklodowska Curie est une œuvre aussi incontournable et enrichissante. «De tous les êtres célèbres, Marie Curie est la seule que la gloire n’ait pas corrompue», disait Albert Einstein. Ces mots concluent ce spectacle-hommage à cette grande chercheuse.

La pièce est le fruit d’une longue recherche dans les archives et est aussi fondée sur Madame Curie, une biographie d’Ève Curie (1904-2007), avec des séquences sur la vie et la contribution scientifique de sa mère (1867-1934).  L’autrice souligne son désintéressement et le fait qu’elle ait rendu son travail accessible au plus grand nombre. Sans être une militante féministe au sens actuel du terme, Marie Curie s’était engagée pour la science et a eu le courage de mener une carrière ambitieuse telle un homme. Et elle a été un modèle pour de nombreuses femmes.

© NEF

© NEF

Née à Varsovie alors occupée par la Russie, Maria Sklodowska, plus tard connue sous le nom de Marie Curie, a tracé sa voie avec en renversant tous les stéréotypes. Sa « poésie de la science », sa passion et son indomptable esprit de recherche sont devenus ses armes pour affronter la xénophobie et les préjugés auxquels elle était confrontée comme femme et immigrée. Elle a marqué son époque, au tournant du XXème siècle, en redéfinissant les frontières de la science. En 1903, les époux Curie se partagent avec Henri Becquerel le prix Nobel de physique pour leurs recherches sur les radiations. Et huit ans plus tardseule femme dans ce cas, elle obtient aussi le Nobel de chimie pour ses travaux sur le polonium et le radium.

La pièce de Themis Moumoulidis et Panagiota Pantazi, fondée sur des éléments biographiques, documents et témoignages, suit l’aventure passionnante d’une vie qui touche au roman ! Une enfance et une adolescence difficiles à Varsovie sous l’occupation tsariste, des études à la Sorbonne et sa lutte pour être reconnue comme membre à part entière d’une communauté scientifique dominée par les hommes, la « partenaire incomparable » de vie et de science de Pierre Curie, les éléments chimiques qui la « hantent », la radioactivité, la « curiothérapie » contre le cancer, les deux Nobel, la perte, la gloire et le tollé quand elle eut une liaison avec Paul Langevin alors qu’elle était veuve depuis cinq ans, les luttes irréconciliables pour une science au service de l’homme. La tragédie et l’ironie que l’Histoire lui réservait, avec l’usage destructeur ultérieur de ses découvertes.

Themis Moumoulidis réussit à créer un paysage de mémoire, images et sons et met en évidence la poésie, la pulsation et la lutte incessante d’une vie légendaire. Marie Curie a beaucoup donné à la science et à l’humanité mais aussi à la lutte des femmes pour la justice et l’égalité de traitement. Un spectacle qui nous transporte au temps de Marie Curie, avec des extraits de symphonies classiques mais aussi des compositions musicales originales et des paysages sonores d’Alexandra Mikroutsikou.

Panagiota Kokkorou a imaginé un décor symbolique et des costumes bien mis en valeur par les lumières de Nikos Sotiropoulos. Konstantina Takalou (Marie Curie), Iphigénie Karamitrou (Irène Curie), Catherine Lipiridou (Bronia Sklodowska) et Yannis Papadopoulos (Pierre Curie) jouent leurs personnages avec habileté.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Syhrono Théâtre, 45 rue Evmolpidon, Athènes. T. : 00302103464380.

En Crète, les 10, 11 et 12 mars.

https://www.youtube.com/watch?v=gAR4bVRKekw


Σάββατο 25 Φεβρουαρίου 2023

Le Malentendu d’Albert Camus, traduction de Marianne Kalbari, mise en scène de Yannis Houvardas


Une pièce écrite en 1942-1943 au Chambon-sur-Lignon (un village de Haute-Loire en France  qui a  résisté de façon exceptionnelle à l’occupant allemand et accueilli de nombreuses familles juives) et où  l’écrivain soignait une tuberculose. Ce fait-divers relaté dans L’Etranger figure aussi dans plusieurs contes populaires d’Europe centrale et devient ici une allégorie de la condition humaine.

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Après avoir fait fortune au loin et s’être marié, Jan arrive incognito en Bohème dans l’auberge que tiennent sa sœur, Martha et sa mère. Elles ont pris habitude d’assassiner les riches voyageurs pour les dévaliser. L’une a des scrupules mais l’autre est mue par le ressentiment. Quand elles découvrent qui est leur dernière victime, la mère se suicide et Martha aussi, après avoir crié sa haine du monde. Il n’y a plus personne pour consoler Maria, l’épouse de Jan. Et le vieux domestique se montre insensible à sa détresse.

En somme, le fils prodigue n’a pas trouvé les mots appropriés et cet homme de bonne volonté a été un piètre metteur en scène et acteur. En se faisant passer pour un autre, il a lui-même mis en marche l’engrenage qui va le broyer. Les malencontreuses interventions du domestique empêchent ces femmes de connaître l’identité de leur future victime. La lassitude de la mère, l’inhumanité de Martha frustrée de bonheur, contribuent aussi à un dénouement qui aurait pu être évité.

Dans ce lieu clos où l’on est exilé pour toujours, les personnages communiquent difficilement et les silences sont pesants. Avec cette fable, Albert Camus actualise le vieux schéma du quiproquo tragique. Comme dans les tragédies Iphigénie en TaurideŒdipe roi et surtout Électre. Mais ici, différence fondamentale: Albert Camus venait d’écrire dans Le Mythe de Sisyphe, que le destin est «une affaire d’hommes qui doit être réglée entre les hommes». Construction en trois actes, strict respect des unités, dialogues et monologues de haut niveauon a placé Le Malentendu du côté de la tradition théâtrale, à un moment où elle était contestée.   

Chaque mise en scène de Yannis Houvardas est un essai porteur de signes, avec un méta-texte enrichissant les notions-clés, sous-entendus et non-dits. Et il demande à ses acteurs de prendre une distance par rapport au texte, et pour éviter sentimentalité et expression émotionnelle, de parler lentement et clairement.

Sur le plateau, le bar tout en longueur de l’auberge où rentrent ivres  la mère et la  fille et un praticable où Blaine L. Reininger joue des mélodies blues mélancoliques tout au long du spectacle. Il y a aussi un  cafard géant que mère et fille embrassent souvent(une marionnette, clin d’œil à Kafka). En haut de la scène, une boîte étroite comme un  cercueil:  la chambre de Jan. Un univers hypnotique et hallucinogène.

Marianne Kalbari crée avec une clarté remarquable le personnage de la Mère, une morte-vivante se décomposant au ralenti, qui veut mais ne peut pas mourir, et qui incarne la fatigue, telle une condition existentielle. Pénélope Tsilika incarne Martha, vaisseau palpitant de désirs insatisfaits et écrasés, corps souillé par sa solitude  et transformé de manière déchirante en un cygne noir qui laisse ses ténèbres se répandre.  

Flomaria Papadaki (Maria) et Anastassis Roïlos (Jan) font très bien passer tous les doutes, fêlures et phobies qui deviendront cynisme, violence et culpabilité…  Un spectacle de haut niveau à ne pas manquer ! 

Nektarios-Georgios Konstantinidis 

Théatro Technis Karolos Koun, 14 rue Frynichou, Plaka, Athènes. T. : 00302103228706.

Κυριακή 19 Φεβρουαρίου 2023

La Folle de Chaillot de Jean Giraudoux, adaptation et mise en scène de Petros Zoulias


Dès 1937, l’auteur et Louis Jouvet, son metteur en scène attitré, songeaient à une pièce dont Marguerite Moreno, monstre sacré à la Belle époque et ensuite, serait l’actrice principale. Il commence à l’écrire en 1941 et termine sa version définitive quelques jours avant sa mort en 1944. La pièce sera créée l’année suivante par Louis Jouvet avec cette actrice.

Des hommes d’affaires réunis à la terrasse de chez Francis, place de l’Alma à Paris, donc tout près de la Comédie des Champs Elysées que dirigeait Louis Jouvet, cherchent une combine très lucrative. Un prospecteur leur annonce alors qu’existerait un immense champ de pétrole dans le sous-sol de la capitale française Autour d’eux, un ballet de personnages que leur bon sens fait ici apparaître comme farfelus : un chanteur des rues, un sourd-muet, un chiffonnier, un hurluberlu et celle qu’ils appellent: la Folle de Chaillot… Elle a pris sous sa protection un jeune homme, Pierre, qui tentait de se jeter dans la Seine. Il révèle qu’un prospecteur lui avait demandé de liquider un homme qui faisait obstacle à ses entreprises. Les spéculateurs s’étant éclipsés, le chiffonnier fait la leçon à la Folle : «Le monde file un mauvais coton.»  et est «plein de mecs» qui ont mis leurs semblables en coupe réglée. «Il n’y a qu’à les supprimer», tranche la Folle de Chaillot.

Au deuxième acte, celle que les didascalies nomment maintenant Aurélie, reçoit dans un sous-sol Constance, Gabrielle et Joséphine, ses pittoresques homologues de Passy, Saint-Sulpice et Place de la Concorde, chacune avec ses lubies mais qui se rallient à son projet. A une seule condition : qu’un procès ait lieu. Et le chiffonnier acceptera de se faire l’avocat des bandits et jouera aussi l’un d’eux.
Ce procès -une pièce dans la pièce- est celui de l’argent, de la spéculation et des privilèges.
Aurélie reçoit l’autorisation d’éliminer les exploiteurs. Les présidents des conseils d’administration, prospecteurs des syndicats d’exploitation, représentants du peuple affectés aux intérêts pétrolifères de la nation, syndics de la presse publicitaire, avides, cyniques et vulgaires à souhait, sont tous attirés par l’idée de trouver du pétrole… Mais ils se précipitent dans un souterrain sans issue dont Aurélie refermera l’accès. Il suffit, déclare-t-elle en guise de moralité, d’une femme de sens pour que la folie du monde se casse les dents. Et, au chiffonnier, elle lance : « Dès que menacera une autre invasion de vos monstres, alertez-moi tout de suite.

Ici, invraisemblance et fin faussement optimiste digne de Guignol mais jamais l’écrivain n’avait pourtant mis autant de fantaisie que dans cette pièce où s’annoncent l’absurde et l’insolite du Nouveau théâtre. La verve du satiriste est souvent mordante quand il donne la parole aux financiers : «Là où nous passons, dit l’un, ni le gazon ni le monument ne repoussent. Et pour un autre : « Les billets de cent francs sont aux riches et non aux pauvres. « Vous avez les capitaux ? J’ai un démarcheur-coulissier. »
Pour Arthur Miller, Jean Giraudoux a écrit l’acte d’accusation le plus direct qu’on ait jamais dressé contre l’exploitation capitaliste. Les Français lui ont parfois préféré Paolo Paoli d’Arthur Adamov ou La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht mais aujourd’hui la modernité de cette pièce est plus dans un dialogue pétillant d’inventions loufoques.  «A midi, tous les hommes, dit Aurélie, s’appellent Fabrice. » Ou encore: «Tout chien, sans son vrai nom, maigrit.» Et « Vous ne devez pas caresser Dicky quand il n’est pas là, dit Constance. C’est mal… » Bref, le premier Eugène Ionesco n’est pas loin.

Petros Zoulias met en scène à nouveau ce chef-d’œuvre classique mais le ramène, en soulignant sa pertinence, aux temps actuels. Cette pièce fut l’un des grands succès de Katína Paxinoú avec Alexis Minotis, au Théâtre National d’Athènes en 1966. Quinze ans plus tard, Andreas Voutsinas, pour le Théâtre National du Nord de la Grèce, lui donne une nouvelle vie avec Despo Diamantidou. Une interprétation historique… Antigone Valakou en 2003, mise en scène par Koraïs Damatis, puis Anna Panagiotopoulou, dirigée en 2014 par Petros Zoulias ont aussi joué Aurélie au Théâtre National d’Athènes.

Ici, Petros Zoulias accentue l’esthétique du conte avec joyeux et oniriques,  un décor majestueux très coloré, de beaux costumes de Deni Vachlioti, une musique originale de la grande compositrice Evanthia Reboutsika, les lumières de Melina Masha et une traduction avec références discrètes au monde contemporain: mails, s.m.s., réseaux sociaux… comme aux féminicides et autres fléaux.

Elissavet Konstantinidou crée une Aurélie sensible, romantique et prête à changer le monde. La dernière scène nous restera en mémoire: quand les exploiteurs la menacent avec une arme, elle descend du plateau, s’avance vers le public  et l’incite à suivre ses rêves. Et la scène du procès est aussi remarquable avec Nikos Moutsinas (Le Chiffonnier) dans un excellent monologue. Petros Zoulias est arrivé à garder l’esprit politique du texte  et pour lui Jean Giraudoux est une sorte de Brecht parisien. Il a également adouci une langue parfois académique et a rendu accessible l’œuvre de cet écrivain à un large public. Le metteur en scène a aussi essayé de simplifier sans trahir- le mal est puni, le bien triomphe- de divertir sans recettes faciles et faire réfléchir, tout en n’étant pas ennuyeux… A consulter: un riche programme-livret avec textes sur Jean Giraudoux, la pièce et ses mises en scène, et de nombreuses photos.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Pallas, 5 rue Voukourestiou, Athènes. T. : 0030 2103213100


https://www.youtube.com/watch?v=RjKF_XgYWr0

Παρασκευή 17 Φεβρουαρίου 2023

Δυσαρμονίες (Tone Clusters) de Joyce Carol Oates, traduction de Nikos Hatzopoulos, mise en scène d’Antonis Antoniou


Cette auteure américaine de quatre-vingt cinq ans s’est essayée à plusieurs genres: poésie, romans et nouvelles, théâtre, essais mais elle privilégie un thème, celui des passions perverses et destructrices.  Son œuvre se situe dans la tradition du roman naturaliste mais Joyce Carol Oates s’attache moins à expliquer les situations d’oppression, qu’à faire surgir de manière obsédante, le couple fantasmatique de la victime et du bourreau.

Dans cette pièce (1990), les parents de Carl sont interviewés dans un studio de télévision pour défendre leur fils, accusé de viol et meurtre d’une jeune fille de quatorze ans. Est-il coupable ? Les preuves sont accablantes. Mais dans quelle mesure sont-ils prêts à les voir ? Et comment cette interview peut-elle éclairer cette triste affaire? Des questions qui, même si elles ont une réponse, en créent de nouvelles qui, elles, restent sans réponse. Quand la voix d’un journaliste leur pose des questions tortueuses, l’interview tourne alors pour eux au cauchemar. Combien de temps pouvons-nous vivre dans l’ignorance? Comment éviter la vérité, en créant autour de nous, celle qui nous convient? À quel point sommes-nous coupables, quand nous nous murons dans notre silence?

L’auteure critique durement le mode de vie américain et les valeurs d’une société qui s’étend au-delà des frontières d’un pays. Elle décrit en particulier la tragédie de ce couple ordinaire qui a peur du crime, de la télévision, et même de leur voisin. Malgré leur calme apparent, l’enchevêtrement de leur vie qui se dénoue lentement, va les mener à la tragédie. Cela se passe dans un studio de télévision et le metteur en scène souligne la gourmandise des médias à utiliser le drame de gens comme une marchandise pour faire gagner leur chaîne en popularité. Le père et sa femme (excellents Antonis Antoniou et Natasha Assiki), perdus dans un tourbillon d’interrogations et incapables de juger objectivement les faits, se battent pour que leur fils soit celui qu’ils croient, et non celui que la réalité les oblige à voir.
Nous entendons seulement la voix du journaliste et cette distance nous rend plus capables de juger les faits avec un esprit critique. Son discours torrentiel est celui du représentant d’une culture et d’une classe, dites supérieures. Il incarne aussi la position dominante de ceux qui travaillent dans les médias mais il a du mal à intégrer les éléments d’informations actuels sur l’homme et la femme. Après le spectacle, les acteurs discutent avec le public et nous sortons riches en émotions. Ils nous ont fait réfléchir à nouveau sur la notion de responsabilité individuelle…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Theatriki Skini, 84 rue Naxou, Athènes, T. : 0030 2102236890

En Cas de meurtre est publié  chez Actes Sud-Papiers (1996). De nombreux autres livres de l’écrivaine sont édités chez Stock et Biblio, Livre de poche