Τετάρτη 25 Δεκεμβρίου 2019

Le Calmant d’après la nouvelle de Samuel Beckett, traduction en grec d’Erifili Maroniti, mise en scène d’Aspa Tobouli

Chez ce célèbre écrivain,  souvent le narrateur lui-même dénonce l’état fictif du récit qu’il est en train de raconter au passé, avec des interventions au présent comme dans cette nouvelle écrite en français en 1946. L’Histoire vient rejoindre la narration qui, elle-même, s’inscrit dans l’Histoire, en dénonçant la fiction au passé.
Le texte s’ouvre sur ces mots : «Je ne sais plus quand je suis mort. Il m’a toujours semblé être mort vieux». Début plein d’une ironie typiquement beckettienne mais qui pose question:  qui assume la narration?  Le titre de la nouvelle fait allusion à un objet du récit (une petite fiole) mais renvoie aussi à la narration elle-même, apaisante dont son statut de vérité qui semble garanti par l’emploi de la première personne, est pourtant d’emblée mis à mal: «Je mènerai néanmoins mon histoire au passé, comme s’il s’agissait d’un mythe ou d’une fable ancienne. »
Le metteur en scène a adapté le texte pour la scène avec une série des micro-séquences narratives qui renforcent la théâtralité  et cette sorte de performance où la parole a une place prépondérante, est accompagnée de vidéos et d’enregistrements sonores. Des images successives où alternent dits et non-dits et qui renvoient aux personnages de Fin de partie et d’En attendant Godot
La scission du «je» entre plusieurs paroles contradictoires impose une distance critique par rapport à la narration  et les deux comédiens  dialoguent entre eux. Mais en fait, ce sont ici deux facettes du moi profond. L’âme et l’esprit. La conscience et l’émotion. Spyros Varellis et Despina Sarafidou incarnent de façon exceptionnelle la bipolarité de leur personnage monologuant, qui baigne entre rêve et cauchemar, vie et mort, passé et présent, mémoire et oubli, réalité et fiction. Ici, la littérature est le remède, et l’autofiction, une planche de salut. Un spectacle de haute qualité, à ne pas manquer !
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Fournos, 168 rue Mavromichali, Athènes. T. :  0030 210 6460748.
Le texte est tiré de Nouvelles et textes pour rien, Editions de Minuit.

Παρασκευή 13 Δεκεμβρίου 2019

Le Fils de Florian Zeller, traduction de Koralia Sotiriadou, mise en scène de Vaggelis Théodoropoulos

  L’auteur français contemporain clôt une trilogie commencée avec La Mère puis Le Père…des pièces qui se font écho et mettent en évidence les rapports entre les êtres dans ce qu’ils ont de plus tragique, mais avec une approche différente. Le Fils renoue avec la réalité la plus immédiate, celle de la cellule familiale aujourd’hui souvent brisée par la séparation du couple. Nicolas, l’enfant de Pierre et d’Anne, ballotté,  n’accepte pas les arrangements des adultes. D’un univers conjugal à l’autre, il peut se décomposer ou se réinventer. Là, les versions contradictoires viennent moins du labyrinthe construit par l’auteur que des mensonges du personnage principal et des points de vue contraires des parents qui ont des certitudes à la surface des choses.
Il y a ici un autre angle… Dans un chant désespéré à la jeunesse, plus que dans la traduction d’une planète mentale où c’est au spectateur à établir la vérité.  Ici, la détresse d’un adolescent le conduit au suicide et l’auteur parle de la complexité des relations entre parents et enfants à un niveau diachronique. «C’est la vie qui me pèse» avoue Nicolas à son père dès la deuxième scène où apparaissent les premiers signes inquiétants de sa maladie. Le dialogue entre eux montre les cicatrices du passé  et le vrai problème  pour lui n’est pas le divorce de ses parents. Mais ni chez son père maintenant remarié avec Sofia avec qui il a eu un enfant, ni chez sa mère qui vit seule, Nicolas ne trouve un endroit paisible.
La communication est impossible et ses parents refusent d’accepter que leur fils est malade et que sa vie est en danger. Nicolas crie à sa mère: «Parfois, j’ai l’impression que je ne suis pas fait pour vivre. Je n’y arrive pas. Pourtant, j’essaie, tous les jours, de toutes mes forces, mais je n’y arrive pas. Je souffre en permanence. Et je suis fatigué. Je suis fatigué de souffrir.» Florian Zeller  constate avec amertume que l’amour ne suffit pas; et pour lui, seul compte un thème éternel: «Quel est le sens de la vie? »
Vaggelis Théodoropoulos évite le mélo, renforce le réalisme poétique de la pièce, en faisant monter l’émotion. Le public se sent donc concerné et les comédiens sont remarquables: Lazaros Georgakopoulos souligne le sentiment de culpabilité qui tourmente Pierre. Le jeune et talentueux Dimitris Kitsos incarne bien un Nicolas malade. Despina Kourti (Anne) et Anna Kalaïtzidou (Sofia) excellent aussi dans leurs personnages. Un spectacle bouleversant à ne pas manquer !
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtro tou Neou Kosmou, 7 rue Antisthenous, Athènes, T. : 0030 210 92 12 900

Τετάρτη 27 Νοεμβρίου 2019

À bras ouverts, d’après le film de Guy Laurent et Marc de Chauveron, adaptation de Lakis Lazopoulos, mise en scène de Petros Filippidis


Dans ce film français (2017), Jean-Etienne Fougerole, un intellectuel de gauche, forme un couple paisible avec son épouse, une riche héritière, par ailleurs artiste.  Il fait la promotion de son nouveau roman A bras ouverts à un débat télévisé en direct quand un intervenant le met au défi d’appliquer ce qu’il préconise: accueillir chez lui des gens parmi les plus démunis. Pour ne pas perdre la face, Jean-Etienne Fougerole le prend alors au mot… Et une famille de Roms qui a vu le débat, va alors sonner le soir-même à la porte de sa villa de Marnes-la-Coquette. Le confort des Fougerole sera donc être troublé avec l’arrivée de ces cohabitants dont l’intégration dans le jardin familial sera facilitée par les retombées médiatiques, ce qui favorisera par ailleurs la vente du roman…
Ce n’est pas une suite des aventures de la famille de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu de Philippe de Chauveron (2014), un film qui raconte l’histoire d’un couple de bourgeois catholiques (Christian Clavier et Chantal Lauby)  dont trois des quatre filles se marient l’une avec un musulman, l’autre avec un juif et la troisième avec un Chinoise; la quatrième, est amoureuse d’un catholique d’origine ivoirienne… Les auteurs nous livrent ici une histoire fondée sur les mêmes ressorts comiques et la même recette. Le rire va donc naître du choc de cultures, celle d’une famille de Français comme on disait autrefois « bien-pensants » et celle d’une communauté de Roms. Mais ici Les Fougerole  qui subissent cette « invasion » ne sont pas d’un milieu conservateur aux idées arrêtées comme dans l’autre film. Mais plutôt gauche caviar et qui prônent l’ouverture aux autres… Enfin plus sur le fond, que sur la forme.
Petros Filippidis crée ici un spectacle amusant, bien rythmé et agréable à suivre. La musique originale de Giorgos Andreou et les chansons de Nikos Moraitis et Lakis Lazopoulos accentuent le caractère divertissant de l’intrigue sans ignorer le message politique. Décor imposant et costumes  bien adaptés aux personnages que tous les comédiens interprètent avec un certain abattage.  Bref, du pur comique.
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre « Bretagne », 7 rue Panepistimiou, Athènes, T. : 0030 210 32 21 579

Πέμπτη 21 Νοεμβρίου 2019

Mama Rosa d’après La Mamma d’André Roussin, adaptation de Jean-Marie Roussin, traduction en grec de Thodoris Petropoulos, mise en scène de Kostas Tsianos

En 1957, l’auteur français renoue avec ses origines méditerranéennes en s’inspirant librement du roman de Vitaliano Brancati, Le Bel Antonio.  Un jeune homme est de retour dans sa Sicile natale mais sa mère, la veuve Rosaria Magnano s’inquiète des ravages qu’il fait auprès des jeunes filles de Catane. Elle espère qu’il tombera enfin véritablement amoureux et de fait, il va lui annoncer qu’il a rencontré la femme de sa vie, Barbara, et un modèle de candeur et la fille de M. Puglisi, le notaire.
Mais, après deux ans de mariage, elle est toujours vierge… et pas enceinte. N’ayant pas été consommé, le mariage peut donc être déclaré nul par l’Église. Maître Puglisi entend remarier sa fille au vieux mais riche duc de Bronte. Et stupéfaite, Rosaria découvre que son fils est devenu impuissant et veut restituer à la famille, son honneur bafoué. Elle demande alors à son fils cadet Aldo de se substituer, la nuit venue, à son infortuné frère dans le lit de Barbara, bien entendu à son insu de la jeune femme. Impressionné d’avoir à honorer sa belle-sœur, Aldo ne parvient pas à ses fins… Pour éviter son union avec le vieux duc, Barbara fait alors croire qu’elle a vécu une belle nuit d’amour. Antonio retrouve alors ses moyens et lui donne ce qu’elle attendait…
Un sujet qui peut sembler graveleux mais les personnages exubérants et les situations sont farcesques et la pièce se termine par le bonheur mis en péril des héros. Sans doute l’œuvre de Roussin la plus pittoresque avec un dialogue truculent, même si la couleur locale frôle parfois ici le cliché. Mais le paradoxe: un  beau Sicilien impuissant, en fait aussi sa force et cette comédie renvoie aux Œufs de l’Autruche de ce même écrivain où un père apprend l’homosexualité de son fils.
Kostas Tsianos réussit à créer un spectacle drôle et bien rythmé malgré une mise en scène assez traditionnelle. Décor imposant et costumes de qualité. Vicky Stavropoulou (Mama Rosa) et Christos Chatzipanagiotis (Gildo) sont remarquables. Marinos Konsolos (Antonio) s’avère un jeune premier charismatique et Socrate Patsikas excelle en Père Giovanni. Maria Filippou (Giuseppina) très burlesque, forge ici une figure comique exceptionnelle. Bref, une comédie légère qui divertit le public athénien!
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Aliki, 4 rue Amérikis, Athènes. T. : 0030 2103210021.

Κυριακή 10 Νοεμβρίου 2019

Tailleur pour dames de Georges Feydeau, traduction et mise en scène de Yannis Bezos

Dans cette farce de 1886, le docteur Moulineaux a une liaison avec une de ses clientes, Suzanne Aubin, à qui il a donné rendez-vous…. Il a fait croire à sa femme, Yvonne, qu’il a passé la soirée au chevet d’un moribond, M. Bassinet qui va se présenter en parfaite santé chez les Moulineaux ! Ce monsieur Bassineet loue des appartements rue de Milan et trouve en la belle-mère de son médecin, une première locataire. Mais Moulineaux est aussi intéressé par un entresol, un ancien magasin de couturière et le réserve pour voir en secret son amante.
 A l’acte II, comme le plus souvent chez Georges Feydeau, tous les personnages vont se croiser. Aubin est à la recherche de sa femme Suzanne qui lui a fait croire qu’elle était chez son tailleur. Une ancienne maîtresse de Moulineaux, Rosa Pichenette, entre dans la boutique, armée de son chien. Cette prostituée raconte au docteur qu’elle a épousé un imbécile de mari et qu’elle l’a abandonné après deux jours de mariage. Suzanne prend Rosa pour une autre amante de Moulineaux qui, pour se disculper, se fait passer pour l’épouse d’Aubin. Avec Yvonne Moulineaux, à la recherche de sa mère censée habiter l’entresol et Bassinet, l’époux éconduit de Rosa, le quiproquo sera vite complet…
Yannis Bezos a construit sa mise en scène construit autour de la musique originale et des chansons de Foivos Delivorias, ce qui renforce le burlesque. Il a ajouté à la pièce originale  un commentaire en vers d’un rare comique où est commentée l’action. Ce qui rend le spectacle encore plus vivant et plus gai. Décor et costumes simples et efficaces. Le jeu des comédiens suit les règles qu’a mises en place Georges Feydeau pour cette farce. Résultat: un spectacle bien rythmé, drôle et de bonne qualité qui enchante le public athénien !
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Proskinio, 8 rue Kapnokoptiriou, Athènes. T. : 0030 210 82 56 838

Κυριακή 3 Νοεμβρίου 2019

Un vrai cowboy de Marilia Samper Torres, traduction en grec de Maria Chatziemmanouil, mise en scène d’Hélène Gkassouka

Après l’enterrement de la mère, le père et la fille rentrent à la maison mais rien n’est comme avant… Le vieux père malade est perdu dans les souvenirs de sa vie conjugale et la fille, d’ âge mûr mais encore célibataire, ne peut pas organiser son avenir et mécontente de la situation,  se sent condamnée à s’occuper de lui. Bref une relation en crise! Et la communication entre eux s’avère difficile. Lui se sent seul, sa femme lui manque et la compagnie de la télévision est une maigre consolation. Il refuse de manger, dort sur sa chaise et se montre incapable de faire ses besoins.
En attendant la visite de sa fille, il se plonge dans ses pensées et évoque des moments agréables. Il a des visions: un cowboy, John Wayne, lui rend visite et ils discutent comme de bons et  vieux amis. Le cowboy incarne l’homme idéal de la jeunesse, vaillant devant le danger, à  la volonté de fer: un idéaliste sans concessions. C’est aussi et et surtout un grand admirateur et séducteur de femmes. Cette rencontre  adoucit les derniers jours du père qui souffre de la disparition de sa épouse.
La dramaturge brésilienne, quarante-cinq ans est pleine de tendresse et de mélancolie pour ses personnages et met ici en valeur le manque de communication entre les gens. L’individu souffre aujourd’hui de tous ses efforts pour avoir une situation qui en vaille la peine. Mais il y a le mépris de l’autre, de celui qui aurait pu être son associé, son collaborateur, son partenaire. Dans cette pièce  écrite en 2006, Marilia Samper Torres  traite de l’utile et l’agréable de la vie quotidienne et ses personnages sont plus des symboles et des êtres enfermés dans un huis-clos étouffant et mortel.
Hélène Gkassouka a su créer un spectacle émouvant entre comique et drame sans alourdir la pièce dont elle souligne le caractère métaphysique en insistant sur  son optimisme. Yannis Fertis (le Père) montre toute  la fatigue et la déception de ce personnage qui cherche l’espoir dans ses rêves. Ioanna Mavrea  joue une fille dure qui dissimule sa faiblesse. Dans le rôle de John Wayne, Vassilis Mavrogeorgiou est un personnage plein de gaieté qui met en valeur la signification du cowboy dans la vie du Père.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre  Mikro Chorn, 10 rue Amérikis, Athènes. T. : 0030 2118005141

Τρίτη 29 Οκτωβρίου 2019

La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, traduction en grec de Dimitra Kondylaki, mise en scène de Sophia Marathaki

Une parodie du théâtre de boulevard: dans un salon bourgeois, les Smith reçoivent les Martin, auxquels se joignent un moment la bonne et un pompier en visite. Cette « anti-pièce » (son sous-titre) écrite en 1950 apparaît aussi comme un manifeste où sont affirmés les grands principes dramaturgique de l’auteur. Ici, des discussions sans objet se transforment en dispute générale et  les protagonistes se battent à coup de mots:  ils ne parviennent à s’accorder ni sur le langage ni sur le sens que l’on peut attribuer aux événements de la réalité.
Eugène Ionesco  se moque de l’artifice des scènes d’exposition (les Smith et leur Bonne se présentent eux-mêmes au public), parodie la scène finale de reconnaissance  de certaines comédies classiques : les Martin, se rencontrant chez les Smith, ne se rendent compte au terme d’une longue conversation qu’ils sont mari et femme!, et au lieu d’un dénouement, il crée une fin cyclique: après un long noir, les Martin remplacent les Smith dans leur salon et prononcent les mêmes répliques que les Smith au début. Et cela transforme la nature de l’illusion et la conception même d’un personnage: impossible de croire à ces êtres, aussi interchangeables que leurs paroles.
Eugène Ionesco rend sensible, en le désarticulant,  la difficulté du langage à assumer sa fonction de communication,  Le dialogue, lieu d’une permanente ambigüité, véhicule  alors le non-sens et progresse à coups de méprises.  Et le célèbre auteur français  tourne en dérision principe aristotélicien de non-contradiction  avec associations de mots, phrases et crée des  scènes incompatibles  et situées à tous les niveaux rhétoriques du texte;  ainsi le dialogue n’a plus rien à voir avec les didascalies…
La pièce contient en germe tous les thèmes de l’œuvre à venir : vision pessimiste du couple, réflexion amère sur la vacuité des relations humaines, non-fiabilité du langage qui isole et qui tue.  Eugène Ionesco met en scène, avec les Martin, un homme et une femme que la vie commune a rendu étrangers l’un à l’autre et il médite sur ce narcissisme indépassable qui enferme l’être dans sa solitude.
 Sophia Marathaki renforce la parodie et le burlesque pour aboutir à la fin à un délire presque cathartique. Tous les personnages expirent sur scène dans un rituel comique et sensuel à la fois. Il y a dans sa mise en scène un méta-texte commentant la genèse de l’œuvre du dramaturge et soulignant aussi tout  le paradoxe du langage. Un long tapis rose et des toiles représentant un ciel nuageux et les costumes signés Konstantinos Zamanis créent  un univers propice à l’absurde. Et la musique de Vassilis Tzavaras comme les éclairages de Sakis Birbilis, un espace imaginaire entre rêve et cauchemar. Les comédiens défendent avec ardeur cette lecture de la pièce avec une remarquable gestualité  et le spectacle garde toujours un très bon rythme…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Technis, 14 rue Frynichou, Athènes. T. : 0030 210 32 22 464

Κυριακή 27 Οκτωβρίου 2019

Clôture de l’amour de Pascal Rambert, traduction en grec de Nikolitsa Aggelakopoulou, mise en scène d’Andreas Kannelopoulos


L’être humain connaît une profonde crise d’identité, à la recherche d’une introuvable issue et chacun essaie de rebâtir son lien à l’autre, malgré la solitude. Plus qu’un thème, l’altérité est un principe constitutif de tout échange et donc du théâtre contemporain et les dramaturges français  traitent souvent de  la difficulté de l’être humain à donner du sens à un monde privé de valeurs stables.
Cette pièce créée au festival d’Avignon 2011 a ses origines  dans le théâtre de Sénèque avec des tirades-fleuves et suit la tradition du théâtre poétique français. Deux longs monologues au langage érotico-métaphysique rappellent parfois le dialogue du Dealer avec Le Client dans Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès.
Pascal Rambert met en scène une rencontre entre un homme et une femme, Stan et Audrey, dans une grande salle (un tribunal imaginaire ?). Lui  réclame le divorce et expose en détails et avec une forte émotion ses arguments renvoyant à un «procès juridique». Elle, dévoile qu’il ne s’agit pas d’une relation mutuellement définie de la même manière et défend certains principes,  révélant un état sentimental et intellectuel, synonyme de l’existence même.
Ainsi, Clôture de l’amour est-elle ancrée dans les tréfonds de l’être humain. Mais le conflit entre  Stan et Audrey est tel qu’il aboutira à la fin de leur couple. En d’autres termes, il y a entre l’homme et la femme, une incompréhension, un éloignement. Pascal Rambert tisse la fable de son histoire en partant du personnel pour arriver à l’universel. … Les personnages sont séparés par un océan de contradictions qui paraissent insurmontables et qu’ils se proposent de résoudre. Il s’agit d’une guerre et on s’aperçoit que la dynamique des deux sexes puise sa source dans l’esprit de révolte de l’un contre l’autre.
Clôture de l’amour parle de l’implication de l’être et du paraître dans l’univers de l’autre conscience et il est question plutôt de retrouver la part de soi dans la part de l’autre. Il s’agit d’un déchirement intérieur du couple. Et, en fin de compte, qui sera le vainqueur et le vaincu ? Qui gagnera et qui perdra ? Seule la vie de chacun pourra y répondre. Pascal Rambert n’apporte pas des réponse. Dans un fleuve ininterrompu de mots, dans la brutalité d’un verbe omniprésent et les divagations des amants, se déroule un combat impitoyable. Déclenché comme chez Joël Pommerat, par un manque d’amour qui dresse un mur entre eux. Avec, en lointain écho, les amours des personnages d’Anton Tchekhov qui nous invite à continuer notre lutte pour le meilleur des mondes possibles…
Andreas Kannelopoulos crée un spectacle où le rythme joue un rôle primordial. Dans une salle de danse sans accessoires, Moa Bones, le musicien, debout, guitare à la main, puis au piano, et les comédiens Thomas Kazassis (Stan) et Fenia Schina (Audrey) interprètent le texte avec une gestuelle qui renforce la passion et l’esprit polémique de la parole: le metteur en scène encourage les cris et parfois l’intensité de la voix, sans éliminer le caractère poétique du langage amoureux. Et il a enrichi l’action avec des trouvailles intéressantes comme ce duel avec des rampes fluo. La scène devient ici un vrai ring où masculin et  féminin s’épuisent en un jeu exterminateur. On ne peut plus discerner le dominant, du dominé, ni le faux, du vrai, ni le juste, de l’injuste… L’amour ne meurt jamais de mort naturelle, nous dit Pascal Rambert, il meurt parce que nous ne savons pas revenir à sa source…
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre 14, 10 Kallirois avenue, Athènes T. : 0030 693 219 5393.

Σάββατο 26 Οκτωβρίου 2019

Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco, traduction de Kostas Dalianis et Evita Papaspyrou, mise en scène de Kostas Dalianis


Le maître du théâtre de l’absurde montre ici le drame de l’homme face à sa propre mort, en la personne de Bérenger 1er, un roi de fantaisie mais  en qui chaque spectateur peut se reconnaître. Malade, Bérenger agonise et meurt sur scène. Un texte puissant de 1962, influencé par Shakespeare et qui rencontrera un large succès. Le royaume est touché par un drôle de cataclysme: saisons déréglées, pays qui se désertifie, habitants mourant prématurément, palais qui se désagrège… Le  Roi perd tout pouvoir sur les êtres et les choses et chaque personnage arrivant de l’extérieur annonce une nouvelle catastrophe.
La pièce commence le matin où le processus de destruction a touché les murs de la salle du trône  qui se sont fissurés. L’espace scénique est ici traité comme un corps malade dont le pourrissement est en relation avec la maladie du roi qui s’aggrave. Aussi le médecin, qui est aussi l’astrologue et le bourreau du Royaume, vient-il porter un double diagnostic. Bérenger est sur le point de mourir, les portes, fenêtres et murs disparaissent lentement, et s’effacent peu à peu dans la perception du roi qui devient sourd et aveugle. Et les battements affolés de son cœur ébranlent la salle du trône et achèvent de la détruire. Eugène Ionesco utilise le fantastique à des fins allégoriques : la mort du roi est la fin du monde. Cette disparition survient quelques secondes après l’évanouissement du décor, une image forte qui place le spectateur dans la position du mourant pour qui c’est le monde, et non lui, qui disparaît.
Eugène Ionesco met en scène la condition de l’homme partagé entre désir de jouissance et nécessité de se préparer à la mort, un conflit illustré par les deux reines. Gaie et aimante, Marie, voudrait rattacher le roi à la vie, le plus longtemps possible mais  elle perd son pouvoir dès que la mort s’approche. Elle devra céder la place à Marguerite qui assiste le roi dans cette épreuve et qui règle les différents moments du rite de passage. Austère psychopompe, elle préside à la cérémonie et amène le roi à renoncer peu à peu à tous ses désirs, détachant ainsi les liens qui le retiennent encore à la vie et elle le conduit dans sa marche vers la mort. Avec ces  reines,  l’auteur oppose deux conceptions de l’existence: occidentale et orientale. Pour Marie, la mort est un déchirement inacceptable et pour Marguerite, elle permet d’approcher du « Grand Rien », de la plénitude du vide.
La version des Modernoi Kairoi  (Temps Modernes) renforce le message politique de la pièce sans amoindrir l’élément farcesque, l’humour noir et la parodie de la condition humaine. Dans un décor sombre et simple où dominent blanc, noir, rouge et doré, cette cérémonie funèbre oscille entre burlesque et grotesque.  Et Kostas Dalianis met l’accent sur l’ironie caustique et le sarcasme de l’écrivain, face à l’effondrement d’un pouvoir usé, arrogant, insatiable et corrompu ; une allusion  aux régimes où le citoyen reste inerte et faible, sans réagir contre les démagogues qui le manipulent.
Sans  que le metteur en scène l’ait orienté vers un lourd scepticisme, le spectacle souligne l’éphémère de l’existence, la fuite du temps, la peur vers l’inconnu de l’au-delà, les inquiétudes métaphysiques des mortels et la recherche éternelle d’un sens ou d’un but dans la vie. Kostas Dalianis crée un microcosme où le rire alterne avec un soupir amer et le caractère tragique de la bouffonnerie; il  montre le passage de la félicité totale, à la déchéance externe. Il s’agit d’une poétique de la vie qui se dessine, malgré le pessimisme apparent.
Vassilis Georgossopoulos  est le Roi Bérenger. Au début, dans toute sa force juvénile, il est audacieux et sûr de lui et à la fin, une créature dégradée, aliénée et tragique. Evita Papaspyrou (Marguerite) maîtrise avec  une interprétation  remarquable et très nuancée, l’évolution du personnage . Antonia Pintzou (Marie) et Aggeliki Lymperopoulou (Juliette) renforcent le paradoxe comique. Yannis Petridis excelle avec une impeccable gestuelle en Docteur-Bourreau. Le Gardien d’Andréas Velentzas est une «vraie» statue mouvante d’une forte signification : le pouvoir exécutif agit toujours  avec une froideur sans  raison…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Alkmini, 8-12, rue Alkminis, Athènes. T. : 0030 210 34 28 650.

Κυριακή 20 Οκτωβρίου 2019

La Puce à l’oreille de Georges Feydeau, traduction en grec de Minos Volanakis, mise en scène de Petros Filippidis

On joue Feydeau en ce moment à la Comédie-Française à Paris mais aussi à Athènes! La pièce (1907) marque le retour de Feydeau au vaudeville, genre où il excelle. Avec une intrigue  fondée sur une histoire de sosies: un directeur de compagnie d’assurances, Monsieur Chandebise et un garçon d’hôtel alcoolique au nom comique de Poche. Inspirée par  Leopoldo Fregoli, un acteur italien capable d’interpréter une soixantaine de rôles en même temps… Mondialement connu, il faisait l’admiration de Feydeau qui allait souvent le voir au théâtre… 
Ainsi naquit La Puce à l’oreille où foisonnent naturellement quiproquos et rencontres imprévues. L’acte II se déroule à l’hôtel du Minet Galant, à Montretout, un nom on ne peut plus adéquat pour cette maison abritant les amours adultères et l’une des chambres est munie d’une tournette qui permet de faire virer le lit d’une pièce à l’autre, pour éviter les flagrants délits. Chassés-croisés et courses-poursuites se succèdent à toute vitesse  mais les soupçons des époux se révéleront, après vérification, injustifiés.
Petros Filippidis crée un spectacle fidèle à l’esprit de l’écrivain français grâce à la superbe traduction en grec  de Minos Volanakis et au jeu très physique des comédiens. Le décor imposant et les costumes de Yannis Metzikof soulignent l’époque, le milieu social et le style des personnages, sous les éclairages de Leftéris Pavlopoulos. Le metteur en scène a su donner à la pièce un rythme précis et accéléré grâce au tuilage des répliques et cette frénésie comique provoque le rire aux éclats chez le spectateur.
Les comédiens grecs ont une gestualité exceptionnelle et  Petros Filippidis a su rendre visibles les personnages, avec quelques attitudes et mouvements simples… Il s’agit d’une version classique de cette pièce connue dans le monde entier, mais sans expérimentations inutiles et trouvailles qui pourraient orienter l’esthétique farcesque vers un lourd scepticisme. Pur divertissement, rire garanti, écriture scénique claire et sincère: bref, un spectacle à ne pas manquer ! Feydeau aurait été fier et content !

Nektarios-Georgios Konstantinidis    

Théâtre Moussouri, 7 Place Karytsi, Athènes. T. : 0030 210 3310936

Δευτέρα 2 Σεπτεμβρίου 2019

Prométhée enchaîné d’Eschyle, traduction en grec moderne de Dimitris Dimitriadis, mise en scène de Stavros Tsakiris

Dans le monde d’Eschyle, les Dieux commandent et sont arbitres souverains; leur toute-puissance n’a pas de limites et peut intervenir en bien ou en mal, et à chaque instant. Et, indéfiniment, Eschyle s’efforce de comprendre et d’interpréter cette toute-puissance en termes de faute et de châtiment. 
Mais dans cette tragédie, la puissance de Zeus n’a rien à voir avec la justice et semble tyrannique  et on dirait même à certains égards que c’est un réquisitoire d’Eschyle contre la divinité. Il fait du Titan un héros: selon la tradition, il avait dupé Zeus et lui avait dérobé le feu, tous les arts et toutes les sciences, pour les donner généreusement aux hommes.
En châtiment, le jeune maître de l’Olympe, Zeus le fait clouer sur un rocher, loin de tous. Ce Prométhée est une victime dont ont pitié  le chœur des Océanides  et Eschyle n’a pas hésité à introduire une autre victime, Io, une jeune fille changée en génisse et poursuivie de continent en continent, par une colère qu’elle n’a rien fait pour mériter. Entre ces deux victimes, il n’y a aucune place pour la justice divine…
Cette célèbre pièce a servi de source aux poètes qui ont voulu chanter la révolte de l’homme maltraité par les dieux. Stavros Tsakiris crée ici un spectacle imposant et, tout en renforçant le rituel et le sacré, il favorise la métonymie et le symbole. L’installation scénique de Kostas Varotsos,  une sorte de «théâtre dans le théâtre» fait écho au caractère grandiose et au mysticisme  des costumes et masques de Yannis Metzikof. Chaque élément, chaque objet ou chaque geste -enseigné par Marcello Magni- contribue à la clarification d’un signe ou d’une idée du texte d’Eschyle.
Comme, par exemple,  les livres que le Chœur secoue renvoyant à la valeur de la Connaissance, à l’ouverture des horizons d’un esprit critique et aux combats pour la liberté de l’Homme dans une société pleine d’interdits. Enchaînée à de longues cordes, Kathryn Hunter incarne Prométhée. Elle donne l’impression de compléter, de prolonger l’espace dont elle dispose. Le corps souffrant et mutilé de Prométhée représente aussi le corps politique régénéré… Tous les comédiens et en particulier, le Narrateur (Nikitas Tsakiroglou) et le Chœur, ont  une présence remarquable. Entre socio-sémiotique et anthropologie culturelle, la version de Tsakiris doit sa force à ce mélange intime de fictionnel et d’authentique, d’historique et d’individuel, de représentation et de performance…
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Spectacle vu au Théâtre Hérode Atticus le 30 août, festival d’Athènes et Epidaure.
Tournée en Grèce jusqu’ à 7 septembre .

Κυριακή 5 Μαΐου 2019

Les Sept Filles d’Ève, performance de Kostas Filippoglou

Les Sept Filles d’Ève (The Seven Daughters of Eve) est un essai du biologiste anglais Bryan Sykes. Ce généticien, professeur à Oxford, a cherché à reconstituer la généalogie des Européens. Avec sa théorie de la génétique mitochondriale, il explique les principes de l’évolution humaine et la façon dont il est parvenu à analyser l’ADN fossile. Dans Les Sept Filles d’Ève, il raconte  comment il a commencé par analyser le corps congelé d’Ötzi (plus de cinq mille ans, retrouvé dans un glacier en Autriche en 1991. À partir de 15.000 analyses d’ADN,  Bryan Sykes identifie sept lignées dans la population du continent européen. Aboutissant à sept femmes originelles, poétiquement baptisées Ursula (Grèce), Xénia (Caucase), Héléna (Pyrénées), Velda (Cantabrie), Tara  (Toscane), Katrine (Vénétie) et Jasmine (Syrie), datant de 8. 000 à 45.000 ans.
L’étude est fondée sur l’utilisation de l’ADN mitochondrial (ADN mt), une molécule présente dans toutes les cellules humaines. Contrairement à l’ADN nucléaire hérité des deux parents,  cette molécule est transmise uniquement par la mère. Avec 16.500 paires de base, elle se révèle très stable. Tout au long de l’histoire de l’humanité,  transmis par la ligne matriarcale, cet ADN se transmet aussi aux fils, sans que ceux-ci puissent la transmettre. En extrayant l’ADN d’Ötzi, Brian Sykes conclut à la similitude des séquences avec celles de l’ADN d’Européens contemporains. Il a aussi travaillé sur l’identification des restes des Romanov et sur le peuplement de la Polynésie. Et ensuite sur la généalogie préhistorique des Européens.
Brian Sykes retrace les migrations humaines, conteste la théorie de l’origine africaine de l’homme et celle de Thor Heyerdahl sur l’origine des Polynésiens. Le titre du livre provient d’un de ses principaux résultats: la classification de tous les humains modernes en plusieurs «lignées mitochondriales».  Dont chacune peut être tracée suivant une ligne maternelle menant d’une personne, à une femme préhistorique spécifique, et selon l’expression du chercheur « une mère de clan ». Toutes ces femmes ont, à leur tour, partagé un ancêtre commun. Ces théories aboutissent à sept lignées mitochondriales pour les Européens (cependant d’autres élèvent le nombre à onze ou à douze) et lui parle donc des «sept filles d’Ève».
Kostas Filippoglou et ses comédiens (sept femmes et un homme) ont adapté cet essai scientifique pour en faire un matériau dramatique. Et ils ont  réussi à trouver les moyens scéniques  pour restituer le côté visuel et concret des faits relatés. Le metteur en scène  crée un spectacle qui nous rend accessible le jargon des scientifiques. Il a favorisé un jeu corporel et réussit à faire naître une véritable émotion théâtrale… Une réalisation intéressante, au concept dramaturgique clair.  Avec une écriture collective, un langage scénique et des choix artistiques  originaux….
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Studio Mavromichali, 134 rue Mavromichali, Athènes, T. : 0030 210 64 53 330

Τετάρτη 6 Μαρτίου 2019

P.O. Box Unabomber de Zdrava Kamenova et Gergana Dimitrova, traduction de Dimitris Vergados, mise en scène de Stavros Stagkos

Cette pièce a remporté  le prix Ikar  2.012 de l’Union des artistes bulgares pour le meilleur texte dramatique. Ses auteurs citent souvent Le Manifestede Ted Kaczynski, dit Unabomber, un militant écologiste américain né en 1942, qui s’est battu contre la société industrielle. Il deviendra un terroriste qui fit l’objet de la chasse à l’homme la plus coûteuse de l’histoire du  F.B.I. . À la suite de la disparition d’un lieu naturel où il se rendait régulièrement, il envoya de  nombreux colis piégés à plusieurs personnes construisant ou défendant le « progrès » technologique.  Et cela durant dix-huit ans; bilan: trois morts et vingt-trois  blessés .
Les auteurs mettent l’accent sur le fait que la technologie, plutôt que de faire avancer l’humanité, la détruit. Comme en contrepoint, ils décrivent le voyage de la dernière femelle d’une espèce en voie d’extinction: l’échidné à long nez, et sa tentative de trouver un compagnon pour éviter de disparaître à jamais. D’un côté, l’Homme qui pense possible d’échapper à la surveillance des satellites et de l’autre, une créature croyant qu’elle ne disparaîtra jamais bien qu’elle soit la dernière de son espèce…  Une réflexion profonde quant aux impasses de l’évolution : celle des hommes, des animaux, de la Nature et  de la société. En cause: des technologies qui se développent de plus en plus vite, des scientifiques auto-satisfaits, la mort proche d’espèces biologiques, la famille humaine qui se dégrade. Un activiste écolo essayera de changer le monde: mais échouera et deviendra juste un simple terroriste. Les personnages essaient de se faire entendre dans un monde qui devient de plus en plus aliéné. Sans visage, ils sont des voix dans la nuit. Sans nom, il semblent s’être perdus dans le temps et dans l’espace, sans aucune chance d’entrer en contact entre eux.
Un homme disparaît et va tout seul dans la montagne, revenant à la fois vers la Nature et vers lui-même. La police et sa famille le cherchent. Inversement, un animal femelle quitte sa forêt et va dans le monde des hommes pour chercher un mâle. Des scientifiques essaient de construire un ascenseur cosmique. Et un satellite supervise tout et tous sur la Terre… Le système actuel peut être changé par la violence ? Pourquoi le plus ancien mammifère est-il menacé de disparition ? Pourquoi les êtres humains veulent aller toujours plus loin et plus loin ? Vers où, tout cela nous mène ?
Dans un décor symbolique, Stavros Stagkos combine divers instantanés comme dans un film  pour souligner le message politique. Sons et musique, éclairage et projections vidéo renforcent le suspense et l’intensité de l’action. Le solide collectif de comédiens  se met au service du texte. Entre autres, Ioanna Kanellopoulou incarne avec une expression remarquable la femelle en voie de disparition. Bref, un spectacle-commentaire du monde contemporain qui fait réfléchir de nouveau sur  l’avenir de notre planète…
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Bar-Théâtre Faust 12 rue Athinaïdos, Athènes, T. : 0030 210 32 34 095.

Κυριακή 3 Μαρτίου 2019

Le Club des parenticides d’Ambrose Bierce, traduction, adaptation et mise en scène de Georgia Andreou

Ambrose Bierce, né dans l’Ohio en 1842, disparaîtra dans des conditions mystérieuses au Mexique à Chihuahua en 1913. La guerre civile où il est immergé de ses vingt à ses vingt-cinq ans, sera pour lui une expérience à la fois traumatisante et un apprentissage profond de l’humanité. On la retrouvera en permanence en arrière-fond de son œuvre fantastique. Il est l’un des premiers à inaugurer la figure de l’écrivain-enquêteur de terrain, ce qui expliquerait qu’il n’ait pas été admis à sa vraie place dans le panthéon de la littérature américaine.
Maître incontesté de l’humour noir (hélas omis par le surréaliste André Breton dans l’anthologie  qu’il dressa avec son Dictionnaire du diable maintes fois réédité, Ambrose Bierce fut sans doute le plus british des écrivains américains. Auteur d’une œuvre foisonnante et hétéroclite, tour à tour journaliste, topographe, écrivain pamphlétaire, il a signé une centaine de nouvelles, axées très souvent sur la mort de l’individu et l’absurdité de la vie. On retrouve l’humour au vitriol d’Ambrose Bierce dans certains de ses écrits où il raconte les destins surnaturels et les funestes hallucinations de ses personnages.
Regroupées sous des titres comme Contes noirs, Fables fantastiques ou De telles choses sont-elles possibles? ces histoires fantastiques représentent la part la plus importante de son œuvre. Souvent racontées à la première personne du singulier, elles résonnent comme de petites scènes horribles font la part belle à la psychologie et aux songes hérétiques d’individus sans raison. Au gré des pages, on rencontre un sacré bestiaire : une machine ayant pris le contrôle de son inventeur, un  Club des Parenticides cherchant les moyens les plus optimaux pour exterminer un proche, de lugubres apparitions nocturnes, de nombreux fonctionnaires corrompus, des soldats perdus et même un Ésope revu et corrigé. Le tout,  bien entendu, des plus macabres.
Georgia Andreou a adapté Le Club des Parenticides, une satire exposant les mille et une raisons de se débarrasser de ses géniteurs:  un bel exemple de nihilisme glacé…  Le spectacle baigne entre  gothique et grotesque mais avec un message politique où l’auteur condamne  la violence arbitraire du pouvoir dans les régimes totalitaires. Les balades obscures et les mélodies dures du group doom sludge metal Okwaho présent sur scène tout au long du spectacle, mettent en valeur le psychisme des héros, accompagnent l’action et nous poussent vers un espace clos et sans issue. La metteuse en scène combine paroles et musique pour sensibiliser le public à l’atrocité des crimes. Il s’agit aussi d’un cri d’éveil quant aux valeurs spirituelles, morales et sociales.
Les comédiens sont les narrateurs de quatre histoires et incarnent aussi les personnages qui décrivent avec minutie comment ils ont tué leurs parents. Vidéos et lumières contribuent au mysticisme comme à la terreur des meurtres commis. Dimitris Mandrinos raconte Oil of dog avec cynisme. Alexandros Filippopoulos joue avec un remarquable expressionnisme gestuel  The Hypnotist. Spyridon. Xenos fait une description dégoûtante dans un monologue An Imperfect conflagration. Marvina Pitychouti, devant une salle de tribunal imaginaire, souligne le caractère macabre de My Favourite murder.
Bref, une « métal performance » que les amateurs du genre  apprécieront beaucoup.
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Michael Cacoyannis Foundation, 206 rue Peiraiws, Athènes. T. : 0030 210 34 18 550

Τετάρτη 27 Φεβρουαρίου 2019

La Caisse d’après le roman d’Aris Alexandrou, adaptation et mise en scène de Fotis Makris et Kleopatra Tologkou

Aris Alexandrou, de son vrai nom, Aristotelis Vassiliadis, est un écrivain et traducteur grec, principalement connu pour son unique roman La Caisse. Né à Pétrograd en 1922, le jeune Aris Alexandrou suit son père grec et sa mère russe dans leur exil en Grèce en 1930.  Il a une activité de traducteur, notamment du russe (Vladimir Maïakovski, Fiodor Dostoïevski, Anton Tchekhov, Anna Akhmatova) mais aussi du français (Voltaire) et de l’anglais. Et il adhère au Parti Communiste, ce qui lui vaudra des années de persécution et il sera interné quatre  ans dans le camp de Makronissos. Il se réfugie en France en 1967 après le coup d’État des colonels. Il  mourut à Paris en 1978.
Son roman qu’il finit d’écrire en 72, est paru en Grèce deux ans plus tard. C’est une suite de dix-huit lettres, datées du 27 septembre au 15 novembre 1949, adressées au Juge d’instruction par un prisonnier qui reçoit chaque jour quelques feuillets pour écrire sa déposition. Un gardien les emporte aussitôt mais il ne reçoit jamais de réponse. Au cours de la guerre civile grecque, l’auteur de ce récit a été choisi pour participer, avec une trentaine de camarades, à une mission-suicide organisée par le Parti Communiste :  ils doivent apporter de la ville de N. , à celle de K. une caisse fermée dont le contenu leur est inconnu. De la réussite de cette mission dépend entièrement l’issue de la guerre contre les forces gouvernementales. Dès son arrivée à N., le narrateur reçoit,  comme les autres hommes qui ont été choisis, un entraînement militaire spécial, déguisé en entraînement de football. Dans cette ville occupée par les forces communistes, la suspicion est partout et les exécutions pour l’exemple, fréquentes. Ils  s’en vont enfin mais la progression est difficile: le commandement impose un parcours plein de détours. Et il y a des offensives, de nombreux accidents ont lieu et les blessés sont exécutés, si bien que le narrateur se retrouve bientôt seul pour apporter la caisse à K.
Aris Alexandrou utilise sa propre expérience pour décrire une vie coincée entre un communisme intransigeant et une dictature étouffante créant ainsi un monde militarisé où fleurissent les prisons. Le Parti Communiste déshumanise ses adhérents, en les soumettant à une logique hiérarchique suicidaire et à une discipline de fer qui les rend indifférents à leur propre mort comme à celle des autres… Fotis Makris et Kleopatra Tologkou ont adapté le roman  pour en faire un monologue mais en se focalisant sur les scènes d’action. Le narrateur, soumis à un procès imaginaire, se défend devant un public-tribunal en racontant tous les évènements du transport de cette caisse. Les metteurs en scène ont réussi à créer un suspense et le décor simple mais symbolique représente une salle d’instruction. Fotis Makris, seul en scène, joue avec ardeur et passion mais d’une voix parfois criarde et monotone. En quatre-vingt minutes, il arrive cependant à  donner vie à ce texte. Bref, un spectacle intéressant qui fait naître des discussions politiques fécondes.
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Studio Mavromichali, 134 rue Mavromichali, Athènes. T. : 00 30 210 64 53 330

Παρασκευή 22 Φεβρουαρίου 2019

La Promesse (Mon pauvre Marat) d’Alexeï Arbouzov, traduction de Giorgos Sevastikoglou, mise en scène d’Eleanne Santorinaiou

Le dramaturge russe (1908-1986) analyse la psychologie et la situation sociale de ses personnages dans un style à la fois lyrique et drôle. La pièce (1965), montée à Paris deux ans plus tard par Michel Fagadau, raconte le parcours de trois adolescents qui se sont rencontrés pendant la guerre. Marik (Marat), un jeune soldat, cherche à survivre dans un refuge. Lika, une fille de seize ans en danger, y trouve aussi un abri. Les conditions sont terribles mais ils goûtent à leur première expérience amoureuse. Un jour, un blessé, Léonidic, les rejoint et le triangle vacille entre l’amitié et l’amour. Très différents, ces jeunes gens partagent leurs difficultés et leurs rêves, leurs rires mais aussi les pleurs et la famine. Marik veut devenir constructeur de ponts: «Les ponts, dit-il souvent, unissent les gens». Lika, elle, rêve faire de la recherche médicale pour sauver le monde des maladies et Léonidic écrit des vers et désire être poète. Des années se sont écoulées, Marik devient un héros mais est porté disparu. Léonidic a perdu une main au combat et est amoureux de Lika. La réapparition de Marik après la fin de la guerre complique la situation: Lika et Léonidic vivent en couple depuis treize ans! Mais qui aime vraiment Lika? Alexeï Arbouzov esquisse d’une façon exceptionnelle les troubles des sentiments et le psychisme de cet étrange triangle de personnages qui vont, après une innocente adolescence, découvrir la dure réalité de l’âge adulte. Ils  ne peuvent plus rester dans la frivolité et devront prendre des décisions qui marqueront leur avenir.
Le spectacle d’Eléanne Santorinaiou, plein de sensibilité et tendresse, alterne moments dynamiques et plus statiques mais l’intérêt du public ne faiblit pas. Jeu et mise en scène sont au service d’une bonne lisibilité des motivations et des actions. Panagiotis Gavrelas (Marik) souligne la difficulté de son héros à exprimer les vrais sentiments qu’il éprouve et à gérer ses relations avec son entourage. Errikos Miliaris (Léonidic) crée un personnage, fragile en apparence mais dynamique et volontaire. Koni Zikou (Lika) incarne la femme : pomme de discorde, elle hésite entre ces hommes représentant deux visions du monde différentes. Un spectacle qui nous a plongés dans une douce mélancolie, tout en nous incitant à réfléchir à la complexité des relations humaines.
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Fournos, 168 rue Mavromichali, Athènes.  T. : 0030 210 64 60 748

Παρασκευή 11 Ιανουαρίου 2019

Anatole d’Arthur Schnitzler, traduction de Marios Ploritis, mise en scène de Yannis Vouros

Le célèbre écrivain autrichien (1862-1931) représente la liaison miraculeuse entre médecine et poésie (Sigmund Freud voyait en lui son double). « Schnitzler, dit Heinrich Mann, c’est la vie douce à proximité de la nécessité amère de la mort. Schnitzler, c’est la balance tchekhovienne entre la sensibilité psychologique et la dureté objective. Il brosse des portraits atmosphériques de jeunes Viennois à la fin du XIX ème siècle, d’une façon réaliste et impressionniste, et décrit la décadence post-bourgeoise. »
Le personnage central d’Anatole (1893), en sept épisodes et un épilogue relatant les aventures d’un Casanova avec des femmes, est un alter ego de l’écrivain qui donne à voir  des personnages féminins: mystérieuses, artistes, coquettes, jalouses, frivoles, libertines, fatales, précieuses, fragiles ou invulnérables, des femmes passent dans la vie d’Anatole. Jeunes ou âgées, pauvres ou riches, fameuses ou inconnues, elles sont les protagonistes d’instantanés farcesques, ironiques, sarcastiques ou mélodramatiques. Avec scènes de rupture, dialogues amoureux et moments de volupté. Et dans cette histoire embrouillée, on ne sait jamais qui est le bourreau et qui est la victime car la passion charnelle entraîne les personnages dans les mensonges et les quiproquos. Toujours insatiable et insatisfait, ce Dom Juan cherche une consolation auprès d’amours éphémères, ce qui le conduit à des impasses. Auprès de lui, son ami Max, un « sage philosophe », commente  l’action avec humour et cynisme, en citant des vers ou en faisant des plaisanteries spirituelles.
 Yannis Vouros met en valeur la pièce avec un décor simple mais soigné et de bons costumes. La première scène est une sorte de procès d’Arthur Schnitzler ! Une voix enregistrée (celle d’un juge) pose des questions à l’écrivain et l’accuse d’écrire des pièces immorales et indignes d’être présentées sur scène. Lui, répond du tac au tac, avec un esprit étincelant. Peris Michailidis est ici un Schnitzler exceptionnel, puis devient Max son ami. Avec une voix et une gestuelle remarquables, il  crée à la fois un personnage et commente l’action. Lefteris Vassilakis incarne Anatole avec une expression fervente, tout en insistant sur le style de vie trépidant d’un jeune homme. Julie Souma, elle,  joue sept personnages  avec précision et sensualité.
Un spectacle qui respecte l’esprit du texte: nous pouvons ainsi, quelque cent cinquante ans plus tard, nous poser toujours autant de questions qu’Arthur Schnitzler, sur la fidélité à une liaison et sur la durée de la passion…
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Alkmini, 8 rue Alkminis, Athènes.  T. : 0030 210-3428651.

Τρίτη 8 Ιανουαρίου 2019

Cock de Mike Bartlett, traduction de Katerina Evangelatou, mise en scène de Minos Theocharis

À trente quatre ans, Mike Bartlett est un des jeunes dramaturges anglais les plus doués: Bull, Contractions, Love, love, love, et Mon Enfant.  En résidence au Royal Court Theatre en 2007 puis au National Theatre en 2011, il est auteur associé à la compagnie Paines Plough. Il écrit pour le théâtre, la radio, la télévision et le cinéma. Cock reçoit un Olivier Award et  Love, love, love a reçu le prix de la meilleure pièce contemporaine aux Theatre Award.
Ecrite en 2008 et créée au Royal Court Theatre de Londres, Cock, une comédie amère, traite de l’orientation sexuelle et des troubles provoqués dans un couple homosexuel avec l’apparition d’une femme. John vit depuis sept ans avec son conjoint qui le traite parfois comme un incapable, ou le fait suffoquer dans une relation où chacun ignore les vrais besoins de l’autre. Et la 
communication va être difficile dans ce couple en crise: John a  en effet rencontré une femme dont il est tombé amoureux. Une première fois pour lui! Et il n’est pas sûr de ses sentiments. Cette expérience le fait réfléchir. Qui est-il? Homo ou hétérosexuel? Une remise en cause à travers l’exploration de ses fantasmes les mieux enfouis, avec mensonges et jeux de pouvoir. Son compagnon revendique alors sa place dans la vie de John et invite cette femme pour un dîner… qui va finir en véritable bataille.
La situation devient plus complexe, quand arrive le père du compagnon de John. Invité aussi au dîner, il soutient la liaison de son fils avec John, tout en exposant ses arguments sur la sexualité et les problèmes auxquels les gens peuvent faire face au long de leur vie. John doit prendre une décision: suivre cette femme et créer avec elle une famille et avoir des enfants. Ou rester avec son compagnon et vivre avec lui comme avant. John se demande s’il est bisexuel mais chaque fois les réponses ne sont pas satisfaisantes, ou son ami le manipule. Il ne sait plus alors quel chemin prendre et se force à rester en couple pour conserver sa sécurité. Malgré une relation usée…
Katerina Evangelatou a trouvé des équivalences pour traduire les expressions argotiques, avec un texte clair pour le public grec. Minos Théocharis  crée une mise en scène autour d’un décor simple avec juste, en fond de scène  une tapisserie.  Et le spectateur imagine tout ce que la parole expose. Rythme rapide, répliques souvent inachevées et chorégraphie renforçant le burlesque de la pièce. Les comédiens soulignent les situations avec une gestualité proche du jeu de marionnettes, et avec ironie. Ilias Moulas (John) exprime l’angoisse et le manque de confiance en lui de ce personnage complexe. Dimitris Makalias (le compagnon de John) a un comportement hystérique avec voix de crécelle et gestes efféminés. Fotini Athéridou, elle, joue avec rigueur et brio, La Femme, devenue ici pomme de discorde. Alexandros Kalpakidis (Le Père) développe une dialectique entre raison et sentiments pour sauver la situation et assurer le bonheur de son fils.
Un spectacle amusant, mais qui sait aussi être profond et émouvant: de quoi alimenter les discussions pour la soirée!  
      
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Athinwn, 10 rue Voukourestiou, Athènes. T. : 0030 210 33 12 343.